Se retrouver nez à nez avec une vieille connaissance issue d’un passé qui paraissait tellement lointain était vraiment bizarre, même pour Beatrice. Sairéann se tenait devant elle, troublé et nerveux comme jamais par ces retrouvailles imprévues et pas vraiment nécessaires. Son rôle de rafleur lui allait plutôt mal. Ne disait-on pas de ces personnes qu’elles étaient impitoyables, qu’elles n’hésitaient pas un instant à faire leur travail –à savoir le sale boulot de service – dans l’unique but de bien se faire voir auprès du Seigneur des Ténèbres ? Et pourtant, le jeune homme qui se tendait devant la rouquine était dans le doute, ça se voyait autant dans ses gestes que dans ses paroles. « Peut-être bien », répondit-il face à la remarque de Beatrice. Etrange réaction, ce n’était pas vraiment ce à quoi la jeune femme était habituée. D’ordinaire lorsqu’elle disait des choses de la sorte elle passait pour une vraie folle. C’est vrai, après tout qui aurait l’initiative de se balader en forêt avec les temps qui couraient ? Personne si ce n’était les inconscients ou les amoureux du danger. « Mais… Pas du tout, en fait ! ». Oh mais c’était qu’elle le rendait nerveux le pauvre ! C’en était presque touchant de troubler quelqu’un à ce point. « Les gens ne prennent pas assez le temps d’observer la beauté autour d’eux. » répondit la rousse toujours de son ton détaché habituel. Ce qu’elle disait n’était pas totalement dénué de sens mais c’était absolument hors contexte pour ne pas changer. De quoi troubler n’importe qui, du moins à partir du moment où on prenait le temps d’écouter ce qu’elle racontait.

Vient ensuite le moment où Sairéann réclama les soi-disant racines que Beatrice avait pris le soin de ramasser pour renouveler le stock de sa réserve personnelle. Le pauvre n’était vraiment pas très rassuré et convaincant dans sa demande, ce qui permit à la rousse de prendre un certain avantage avant même d’avoir ouvert la bouche pour répliquer poliment. C’était bien trop facile de s’imposer face à quelqu’un comme lui qui ne savait définitivement pas ce qu’il voulait, mais pour autant la rousse ne savait pas vraiment si c’était une bonne chose, allez savoir pourquoi. Sairéann l’intriguait vraiment, et son attitude encore plus, ce n’était pas tous les jours qu’elle avait l’occasion de rencontrer quelqu’un comme lui. « Vous avez rejoint l’ordre, alors ? ». La question totalement inattendue du jeune homme la sortit directement de ses pensées. Le simple fait d’avoir entendu le mot « Ordre » avait été suffisant à lui rappeler ce pour quoi elle était initialement dans cette forêt. La mission, Potter et ses amis, les mangemorts, les rafleurs… Comment oublier tout cela ne serait-ce qu’une seule seconde, il n’y avait vraiment qu’elle pour laisser son esprit vagabonder de la sorte… « L’Ordre… Pourquoi l’aurais-je rejoins ?” Réponse vraiment nulle qu’elle n’était pas habituée à donner… Elle ne pouvait tout de même pas lui dire que c’était bien le cas, elle n’était pas stupide ! « Je serais bien trop inutile avec eux. ». Faux. Ce n’était pas comme si la jeune femme était une piètre sorcière dénuée de toutes capacités magiques… Bea pouvait se vanter de faire partie de l’excellence, et en tant qu’ancienne médicomage, on ne pouvait pas vraiment dire qu’elle était inutile. Les réponses qu’elle avait données à son interlocuteur étaient tellement peu convaincantes que c’en était presque comique. Maintenant Sairéann n’était plus le seul à ne pas savoir quoi faire…Ils étaient beaux à se regarder dans le blanc des yeux, tiens ! Serrant sa baguette sous le pan de sa robe de sorcière, Beatrice était prête à intervenir rapidement si la situation dégénérait.

Plus le temps passait, et plus la situation devenait étrange. Depuis la prise du pouvoir des Mangemorts et de leur Lord, tout le monde était sur ses gardes, prêt à se battre dès lors que les circonstances amenaient à considérer les armes comme le seul moyen de survivre à cette guerre sans merci. Tout le monde et à chaque instant, sans exception. Et pourtant, Beatrice s’était laissée emporter par l’insouciance et une once de liberté le temps d’un court instant, et elle devait maintenant en payer le prix en étant confrontée contre sa volonté à un rafleur qu’elle ne connaissait que trop bien. « Peut-être sont-ils trop occupés à regarder la mort en face ? », avait-il répondu à la phrase sibylline de Beatrice. Il avait tout à fait raison et n’aurait pu mieux le dire que par les mots qu’il venait d’employer. Tout le monde avait peur pour sa vie et n’osait se laisser aller ne serait-ce que quelques secondes, alors la contemplation du paysage n’était pas vraiment la priorité, il fallait laisser tout ça aux érudits ou aux personnes dans le genre de Beatrice. La suite de la conversation fut de moins en moins agréable, c’était comme si son sens de la répartie l’avait quitté, laissant à la place une pauvre demoiselle qui n’arrivait qu’à balbutier une pauvre phrase en guise de défense aux questions d’un rafleur bien trop curieux. L’Ordre du Phénix. Bien sûr qu’elle en faisait partie, ça faisait au moins depuis l’évasion massive d’Azkaban il y a près de deux ans qu’elle avait rejoint les rangs de l’organisation secrète – plus si secrète que cela désormais – en compagnie de sa sœur cadette. Seulement, face à un rafleur chargé de se débarrasser des opposants du Seigneur des Ténèbres, on pouvait dire que c’était vraiment une mauvaise idée que de l’avouer. « Sans vouloir vous offenser, vous faites une bien piètre actrice. » Il n’avait pas tort, encore une fois. Beatrice était pleine de qualités, mais jouer la comédie n’en était visiblement pas une. En même temps, il avait suffi que Sairéann ne parle de l’Ordre pour que Beatrice change directement d’attitude. Qu’allait-elle bien pouvoir faire maintenant ? Excellente question. « Et puis, si vous savez soigner un rafleur, vous devez aussi parvenir à soigner quelques membres de l’ordre. Vous avez un talent pour ça », ajouta-t-il. Génial, il avait décidé de la mettre dans le pétrin. Si elle voulait avoir une chance, il fallait vraiment qu’elle trouve quelque chose à lui répondre. La tâche s’annonçait pointilleuse, d’autant plus que soigner les réfugiés et les membres de l’Ordre occupaient environ 90% de son temps. « Oh, trêve de flatteries mon jeune ami. Il faudrait être fou pour commettre de telles actions. ». Cette fois-ci, sa phrase sonnait tout à fait juste. Le problème ? Beatrice était loin de ce qu’on pouvait appeler quelqu’un saine d’esprit. La question était de savoir si Sairéann était au courant de ça ou non. « Si je puis me permettre… Pourquoi l’Ordre ? En rejoignant le Seigneur des Ténèbres, vous recevriez chaque jour une coquette somme pour vous services, alors que le travail pour l’Ordre doit s’apparenter à du bénévolat, n’est-ce pas ? », finit-il par lui demander. La réponse était simple, mais une fois encore en faire part à un rafleur n’était pas une brillante idée. Tout d’abord, elle était née-moldue, alors ce n’était pas vraiment bien compatible aux idéaux des Mangemorts et de leur gourou. Ensuite, elle ne pouvait concevoir que de tels agissements puissent se faire : il y avait tellement plus important que le pouvoir… « Oh, déjà je ne t’ai pas confirmé mon adhésion à l’Ordre et ensuite je doute que mes idéaux correspondent à ceux pour qui tu travailles. Sans offense pour toi, j’ai bien trop de fierté pour accomplir le sale boulot du Lord. », répondit-elle en insistant sur le mot Lord, dévoilant ainsi une part de sa rancœur pour lui. « Sairéann, que comptes-tu faire de moi ? », finit-elle par lui demander directement. Ils étaient en train de perdre un temps fou à tourner autour du pot. Elle devait savoir et sinon, elle était prête à se défendre.

C’était vraiment rare que ça arrive, mais Beatrice était légèrement déstabilisée face à Sairéann. D’ordinaire, mettre mal à l’aise ses interlocuteurs était la spécialité de la rouquine, mais il fallait croire que quand sa vie était en danger son instinct de survie reprenait le dessus bien que ce soit d’une manière bien particulière. Ils étaient là, à se regarder dans le blanc des yeux en attendant que le temps ou une instance supérieure prenne une décision à leur place. En même temps, parler de l’Ordre n’arrangeait absolument rien, au contraire. « Voilà. Là. Vous venez de le confirmer. On a juste fait les choses dans le désordre. », répondit-il. Vraiment, elle venait de confirmer ? Ce n’était pas du tout son intention, elle était dans de beaux draps maintenant. « Je…non », tenta-t-elle vainement de protester. C’était malin, elle venait de se faire avoir comme une bleue. « Il est dommage de ne pas pouvoir affirmer ses convictions », finit-il par ajouter. Parce qu’en plus il la prenait pour une faible incapable d’assumer ses convictions ? Il voulait vraiment la pousser à bout, il n’y avait pas d’autres explications. Non, vraiment c’était très offensant, surtout quand on connaissait bien Beatrice. « C’est vrai que c’est plus simple de se placer aux côtés du Seigneur des Ténèbres », maugréa-t-elle, arborant une mine boudeuse qui ne lui ressemblait guère. Elle n’avait pas dit ça méchamment, c’était plus une phrase dite pour se défendre de son mutisme passager dès que l’Ordre était concernée. Et puis, de ce qu’elle avait vu, Sairéann ne faisait pas partie de ces rafleurs qui ne se posaient aucune question pour faire du mal aux victimes qui leur tombaient dessus… Peut-être avait-elle encore une chance de s’en sortir après tout. Histoire d’être fixée, Beatrice avait finalement osé poser la question la plus importante : ce qui comptait faire d’elle. Si elle avait une chance de s’en sortir sans utiliser sa baguette, elle ne disait pas non, dans le cas contraire tant pis pour lui, il devrait se confronter à sa magie. « Vous pourriez encore sauver la vie de quelques personnes. Alors je crois que je vais vous laisser partir ». Beatrice le regarda comme s’il était le père Noël. « Très bien, dans ce cas je ne vais pas attendre que tes petits amis rafleurs ne viennent te faire changer d’avis. » Puis, avant de vérifier qu’ils étaient toujours bien seuls, elle lui sourit furtivement. « J’espère te revoir un jour dans d’autres conditions mon petit Sairéann. ». Et sans plus attendre, elle transplana pour continuer sa mission initiale. .