(2.2) tu parles d'une mission •• cali

« Et sinon, on attend quoi au juste ? Le dégel? » demandai-je à Cali avec une pointe d'ironie, ne cherchant même pas à dissimuler mon agacement. C'était qu'en plus, on commençait à se les cailler par ici, et à dire vrai, attendre dans le froid que quelque chose se passe enfin ne me disait rien du tout. Alors oui, j'avais l'intention de me plaindre, de râler et de récriminer jusqu'à ce que survienne n'importe quel événement. Je n'aimais pas perdre mon temps, et j'avais précisément l'impression de perdre mon temps. D'où le fait que j'étais particulièrement désagréable, et c'était ma coéquipière qui en faisait les frais. « Quelle connerie. » sifflai-je entre mes dents serrées, tout en continuant à scruter les alentours. Je ne comprenais pas ce qu'on foutait là, planquées derrière un buisson en attendant que ça se passe. Ridicule. C'était tout simplement ridicule. Je comprenais encore moins pourquoi on m'avait assignée à une mission aussi tôt après mon arrivée au camp. Comme si j'avais envie de coopérer. En réalité, je me faisais chier, la présence de Cali m'agaçait et je pensais que cette mission était un gros délire, purement et simplement. Oh, elle non plus n'avait pas l'air d'apprécier d'être là, je voyais bien les regards qu'elle me lançait. Comment pouvait-on mener cette mission à bien si nous étions incapables de nous supporter, je me le demande. « C'est vraiment super de s'être planquées en plein courant d'air. Vraiment super. » Non, je n'avais pas fini de me plaindre, en réalité, cela ne faisait même que de commencer. « On aurait pu se poster quelque part à l'abri du vent, mais non, il a fallu qu'on se mette là, en plein mois de février en plus. C'est encore l'hiver à ce que je sache. » D'accord. J'aurais peut-être dû mieux me couvrir, mais les faits étaient là. Il faisait froid. Et en plus, je commençais à avoir faim. La bonne affaire. J'étais vernie.

01. Défiance
Caik, Ecosse, intrigue 2.2, mission pour l’Ordrex x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x

Le guet. C’était quelque chose qu’on se devait de faire, à tour de rôle, au camp, afin d’éviter les visites impromptues auxquelles les plus faibles ne seraient pas vraiment préparés. On pouvait vite se croire hors de danger, croire que tout allait bien, et tout à coup, la mort s’abattait sur vous, décimait les rangs, funeste, accablante. Cali l’avait appris à ses dépens. Elle ne baissait plus sa garde, et personne ne pourrait désormais parvenir à la persuader du contraire. De temps à autres, elle offrait donc ses services aux camps de réfugiés, afin que d’autres ne subissent pas les mêmes dommages qu’elle avait pu connaître. En tout cas, elle faisait de son mieux. Tracey, elle l’avait un peu prise sous son aile, elle avait cherché à l’aider, à la savoir en sécurité, mais il y avait cette rumeur sourde qui tonnait en elle, cette méfiance qu’elle ne pouvait empêcher de naître. Ce jour-là n’avait rien amélioré. On lui avait dévoilé quelques informations qui la confortaient dans son idée. Pour couronner le tout, Madame avait décidé de râler, sans s’arrêter, quelle plaie. A Poudlard, elles s’entendaient plutôt bien, mais Cali avait été obligée de grandir, brutalement, sans étapes, quand la Serpentard semblait encore coincée dans les méandres de l’adolescence. Elle soupira lorsque ses derniers mots tombèrent, déjà agacée, et son regard dur se planta dans les prunelles de la demoiselle. « On fait le guet. Pour assurer votre sécurité. Tu croyais quoi, que c’était un hôtel grand luxe ? Que tu ferais du jardinage dans une serre bien chaude ? Tiens, parlons-en d’hôtel, d’ailleurs. T’as foutu quoi ces derniers jours, on peut savoir ? Des gens comptent sur toi ici, en partant sans prévenir, tu les mets en danger. Et tu te mets en danger aussi par la même occasion. Alors, qu'est-ce que c'était, qui vaille tant de périls ? »

Je la regardais, complètement médusée par ce que je venais d'entendre. Non, mais elle était sérieuse ? Pourtant, Cali n'était pas la première à me reprocher mes comportements de princesse pourrie gâtée. Ça me rappelait étrangement une conversation que j'avais eue avec Caïn une fois. Bien sûr l'objet du litige était tout autre et la situation également, mais c'était fou de voir à quel point certaines critiques pouvaient revenir régulièrement. Je pinçai les lèvres en signe de désapprobation. Déjà, je trouvais que faire le guet était complètement inutile. Ensuite, elle n'avait pas à me parler de cette façon. Enfin, je n'avais aucune envie de répondre à ses questions parce que je savais pertinemment que je n'avais aucune excuse. Oui, je l'avouais, je n'avais strictement aucune raison de partir du camp, surtout que comme elle venait de le souligner, beaucoup de personnes veillaient à ma sécurité ces jours-ci. Et m'échapper ne leur ferait pas honneur, loin de là. Pourtant, je ne pouvais pas la laisser m'assommer de reproches sans répliquer quoi que ce soit. C'était mal me connaître que de croire que j'allais me taire. « Oh, je ne m'attendais pas non plus à loger dans un palace, mais au moins qu'on vive dans des conditions décentes et non pas parqués comme des bêtes. Ce serait la moindre des choses vu tous les services que vous leur rendez. » En attendant, moi, j'avais toujours aussi froid. Je resserrai les pans de ma veste autour de moi, avant de coincer mes mains dans mes poches. « et tu veux vraiment savoir ce que j'ai fait ces derniers jours ? » ironisai-je, avec toute l'insolence dont j'étais capable. « J'ai manqué de me faire séquestrer par un Mangemort fou furieux qui a voulu me piquer ma baguette et j'ai passé quelques jours avec mon mec, la routine quoi. » Elle n'allait sûrement pas être ravie d'entendre que j'avais préféré batifoler – enfin, façon de parler – plutôt que de rentrer au camp, mais qu'importe. Je n'avais pas fini de l'assommer à mon tour de reproches. « Et parlons-en, de ces gens. » raillai-je, dans une parfaite imitation de ses mimiques. « Puisqu'ils sont tellement assidus s'agissant de ma protection, puisqu'ils comptent sur moi, où étaient-ils quand je me faisais torturer et violenter alors que soit dit en passant, j'ai failli mourir. Où étaient-ils lorsqu'il a finalement décidé de me relâcher dans un élan de bonté extrême, on se le demande ! » Oui, j'étais en colère, mais ma colère me paraissait légitime. Et non, ce n'était pas une fois de plus un caprice d'enfant gâté.

Cali ne s’attendait pas à ce que la piquante demoiselle se taise. Non, bien au contraire, peut-être avait-elle cherché l’affrontement, peut-être était-ce son dernier moyen de deviner, entre les lignes, entre les mots, entre les tons qu’on empruntait, les airs qu’on se donnait, les dessous de toutes ces histoires, de ces doutes qui grandissaient en elle, de son malaise croissant. Et déjà, Tracey commettait des erreurs, en voulant se défendre, en cumulant les prétextes, elle lui donnait les indices qu’elle voulait prendre, elle lui offrait des pistes. Tout d’abord, quand elle lui dit qu’elle avait été séquestrée, le cœur de Cali s’était porté vers elle, son sentimentalisme l’avait prise, elle avait bien failli la conquérir. Elle s’inquiétait, bien sûr, qu’elle s’inquiétait, peu importait ce qui se passait dans sa tête, elle n’avait encore aucune preuve, elle ne savait exactement de quoi il retournait. Comment condamner alors une adolescente en détresse ? « Tu t’es faite enlevée ? Par qui, et où ? A t’entendre on est venu t’arracher au camp. » Et là, pour le coup, ce serait vraiment inquiétant. « Ton… mec, hein ? Qu’est-ce qui t’empêchait de prévenir, Tracey ? C’est vrai, ce ne sont pas les conditions idéales, mais c’est temporaire, et il me semble que c’est toujours mieux que les deux autres solutions dont tu disposes : Azkaban, si l’on t’accepte là-bas, ou la Mort. N’est-ce pas pour fuir cela que tu t’es réfugiée ici ? Tu peux toujours voguer d’endroit en endroit comme avant, mais tu sais comme le sentiment de sécurité est moindre alors, et ce n’est pas qu’une question de sentiment. Si tu veux, on pourra voir ce qu’on peut faire pour améliorer un peu ton séjour, mais il y aura toujours des tâches, et le camp n’aura jamais le confort douillet d’une maison. » Elle s’était faite douce, même si l’alarme avait sonné. Elle ne l’avait pas relevée, elle sentait que ce n’était pas le moment, qu’elle n’était pas encore prête. Elle entassait ses questionnements, jusqu’à ce que la pile soit trop haute pour être contournée, et celui-là était de taille : pourquoi diable un Mangemort « fou furieux » aurait-il laissé Tracey Davis repartir tranquillement « dans un élan de bonté extrême » après l’avoir séquestrée ?

Du coin de l'oeil, je guettais sa réaction, réprimant l'envie de sourire alors même que ce que je disais n'avait vraiment rien de drôle. Pour un peu, elle aurait pu croire que je me fichais d'elle, ce qui n'était pas totalement faux, mais pas totalement vrai non plus, je dédramatisais juste la situation, m'amusant de l'affolement qu'elle sembla montrer alors. Ainsi donc, j'aurais dû prévenir ? Et voilà qu'elle me réprimandait, me répétant tout ce que je savais déjà. Bien sûr que je savais que j'avais de la chance, j'avais au moins un point d'ancrage, d'autres fugitifs ne pouvaient pas en dire autant. Néanmoins, bien que ce fût de mauvaise grâce, je répondis à ses questions. Bon sang, qu'est-ce que je pouvais détester les gens qui se montraient trop intrusifs. « Non, ça va, personne ne m'a enlevée, disons qu'il m'est simplement tombée dessus. C'est l'histoire d'une fille qui se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. » Je ne pus m'empêcher de lui adresser un sourire sardonique, la jaugeant de mon regard acéré. « Sois tranquille, il ne sait même pas qu'il y a un camp dans le coin. À dire vrai, il pense que je suis seule, comme j'ai pris le soin de le dire et de le répéter. Il fut assez difficile à convaincre, mais il n'a pas insisté. Je n'ai balancé personne. » Elle croyait quoi, que j'allais cracher le morceau aussi facilement ? Qu'elle ne se méprenne donc pas, je n'avais pas envie d'être fichée comme le traître de l'Ordre à peine arrivée ici. J'étais quelqu'un de loyal et très carrée sur mes principes, et elle ne pouvait pas me l'enlever. Mordre la main qui m'avait nourrie, ça ne se faisait pas, point. « Mais oui, mon mec. Comme mon copain avec qui je suis depuis trois ans et que je vois tous les trente six du mois. Ce n'était pas du tout prévu au programme, mais pourquoi pas après tout, ça fait un mois que je cavale en essayant de fuir ces détraqués, m'offrir quelques jours de vacances loin de tout me semblait...hum, légitime. » Et en plus, je persistais et signais. Avec un sourire narquois en prime. Le pire, c'était sans doute que je m'enfonçais, mais quitte à signer mon arrêt de mort, autant bien faire les choses jusqu'au bout. « De toute façon, peu importe l'endroit où je puisse être, le monde déborde de pourriture, l'humanité ne vaut pas davantage, l'enfer est sur terre. » Sauf qu'à Poudlard, je ne m'en rendais pas vraiment compte. Je détournai finalement le regard, fixant rageusement la rue qui s'ouvrait devant nous. Je ne voulais pas penser à cette maison que j'avais quittée, qui n'était plus à moi désormais. Une maison vide, sans âme, où il n'y avait plus que les souvenirs lointains d'une vie heureuse et paisible. Des vestiges de ma vie d'avant qui me paraissaient tellement inaccessibles à présent.

Tracey pensait sûrement l’avoir déjà bernée. Elle s’enfonçait plus avant dans ses explications, et Cali était là, à noter les détails qui ne coïncidaient pas. Au mauvais endroit au mauvais moment. Rares étaient les situations comme celles-là. Et il fallait même la faire passer pour une héroïne, puisqu’elle avait été muette comme une tombe, qu’elle n’avait rien balancé, qu’elle était si… loyale. Cali hocha la tête en signe d’approbation. La Serpentarde avait dû oublier quel était le métier de Cali. Elle avait beau ne pas être la plus avisée, la plus expérimentée, elle avait l’instinct, et il n’était pas bien difficile de relever tous ces petits détails, de les entasser les uns sur les autres en vrac, et de se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Tout comme elle avait appris à prétendre, prétendre être quelqu’un d’autre, prétendre penser à autre chose, tromper, piéger, pour le règne de la vérité, afin que justice soit rendue. C’était devenu sa raison d’être. Elle n’avait plus que ça auquel s’accrocher. Alors les bribes d’amitié qu’il y avait pu avoir entre elles, elles commençaient à se décoller, certaines étaient emportées par le vent. Le mensonge... Ça faisait tout flamber. « Alors pourquoi tu incrimines les gens du camp ou de l’Ordre de ne pas t’avoir sauvée ou… quelles que soient tes attentes à ce sujet. Tu n’es pas supposée sortir seule. Je comprends le besoin d’isolement, crois-moi. Mais ton histoire est inquiétante, même si tu fais comme si de rien n’était. C'était qui, alors ? » Oui, elle avait l’air d’avoir vachement été secouée, par ces tortures, le traumatisme sautait aux yeux… Sûrement pour cela qu’elle avait encore trouvé le temps de s’envoyer en l’air après ça. Son ironie, elle pouvait en user autant qu’elle voulait, il en fallait plus pour déstabiliser l’ancienne Serdaigle. Elle scrutait le paysage afin de s’assurer que leurs règlements de compte ne seraient pas l’excuse à d’autres pour leur passer sous le nez. Tracey pouvait très bien ne pas en voir l’utilité, mais plusieurs fois, dont une en particulier, Cali aurait aimé avoir cela : quelqu’un pour veiller sur elle, pour surveiller les alentours, pour la prévenir en cas d’intrusion sur son périmètre. Elle avait eu Fritz, en quelque sorte, mais il faisait le guet depuis son bar, et ça n’avait pas suffi. « Je ne te reproche pas tes jours de vacances je te reproche la manière dont tu les as pris… » marmonna Cali d’un ton distrait, avec l’impression de tourner en boucle, déjà. Le reste devait la captiver davantage. Elle se tourna vers la jeune fille, arqua un sourcil, réfléchit un instant à ce qu’elle devait répondre à cela. C’est vrai qu’elle aussi, elle avait perdu ses parents. Que pour elle aussi, la perte devait être si douloureuse que l’univers déjà sombre dans lequel on se trouvait s’obscurcissait plus encore. Alors d’accord, à ce moment-là, elle s’était retrouvée un peu attendrie. « … C’est vrai. Mais il ne tient qu’à nous d’y injecter un peu de bonheur, et si on ne peut pas le rendre paradisiaque, tenter au moins de le rendre meilleur. N’est-ce pas pour cela qu’on est là ? » Attendrie ou pas, elle n’allait pas perdre le Nord.

Pourquoi j'incriminais les gens de l'Ordre ou du camp ? Bonne question. Je n'avais pas vraiment de réponse précise à apporter. J'étais tellement en colère, contre tout, contre tout le monde. La haine me tordait les tripes et me laissait un goût acre et dégueulasse dans la bouche, il n'y avait que ça qui me maintenait encore en vie. Ma colère me paraissait légitime. Du jour au lendemain, je m'étais retrouvée embrigadée là dedans, tout s'enchaînait si vite, je n'avais vraiment pas le temps de me poser pour réfléchir...et relativiser. Il existait autant de façons d'exprimer un traumatisme qu'il y avait de gens sur cette foutue planète. La mienne, c'était de me montrer hargneuse, teigneuse comme jamais. J'avais besoin de laisser extérioriser ma colère, sinon j'allais imploser sous l'effet des émotions qui me taraudaient continuellement. C'était qui? Je tressaillis. Je ne savais pas si je devais balancer son nom ou pas, j'avais peur d'éventuelles représailles. Déjà que je commençais tout juste à me remettre des blessures qu'il m'avait infligées...Qui, alors? Je soupirai longuement, avant de marmonner sombrement. « Un de mes anciens professeurs à Poudlard. » répondis-je simplement, et je ne dirai rien de plus. Elle n'avait qu'à chercher après tout, des professeurs à Poudlard, il n'y en avait pas des masses, elle aura vite fait le tour. « Il n'y a pas si longtemps que ça, j'étais encore au premier rang dans sa salle de classe. Il a toujours trouvé que j'avais énormément de potentiel, il aurait été dommage de le gâcher en me supprimant. Il m'a simplement fait comprendre qu'il espérait qu'il n'aura pas à regretter son acte de clémence par la suite. » Non, je n'étais pas en train de changer de version, j'étais tout simplement en train d'y ajouter des détails supplémentaires sans trop en dire. Cali devait savoir que chacun avait ses secrets, moi j'avais les miens, je n'étais pas bien différente des autres sur ce point. Un monde meilleur, vraiment ? En quoi faire les piquets ici allait contribuer à le rendre meilleur, ce monde tout pourri, qui courait déjà à sa perte ? « Je ne savais pas qu'attendre ici les bras croisés allait aider le monde à devenir meilleur, excuse-moi, j'ai du mal à comprendre. » répondis-je avec aigreur, non sans lever les yeux au ciel de façon ostentatoire. « Et si jamais on les trouve, on fait quoi, hein ? Je ne sais pas me battre. Je doute être d'une grande aide. Dans ce cas, on rentre bredouilles au camp en disant qu'on les a laissés filer, ou bien tu comptes les affronter toute seule comme une grande en ne sachant pas combien ils sont en tout ? Non, franchement, j'ai du mal à saisir le concept. » Je détestais rester inactive, c'était un fait. Je ne supportais pas gaspiller mon temps, c'en était un autre. Surtout, je détestais faire quelque chose sans savoir où on allait précisément, et en ce moment précis, j'étais clairement en train de déplorer le manque d'informations qui auraient dû m'être communiquées, en tout état de cause.

Une langue face à elle se déliait. A moitié. Tracey laissait enfin échapper quelques détails, suggérait ce qui avait pu arriver, et Cali tentait tant bien que mal de décrypter ses paroles, de saisir le sens de son histoire, comprendre ce qu'elle ne disait pas, tout en respectant les aveux faits. Mais était-ce réellement de la bonne volonté qu'elle affichait ici, étaient-ce réellement des confidences qu'elle lui apportait, ou n'était-ce n'en dire qu'assez pour l'apaiser, gaver sa curiosité assourdissante ? Elle n'aurait su le dire. Les sentiments prenaient leur part dans tout ça. Elle avait d'un côté cette affection pour Tracey, celle qui la rendait touchante à ses yeux, qui la plaçait telle une enfant qu'elle aurait souhaité protégé envers et contre tout, déjà blessée, similairement à elle, encore qu'elle n'avait pas vu s'effondrer les êtres chers sous ses yeux, qu'ils n'étaient pas tombés sous la baguette de son demi-frère, pour une histoire de fierté, de blason à redorer, il y avait quelque chose de fraternel, cette liaison complexe, qui accentuait sa dureté envers elle ; de l'autre, il y avait cette méfiance omniprésente, celle qui réglait sa vie comme le temps, l'argent, ou l'amour en règlent d'autres. « Un Mangemort, donc. » On ressentait dans sa voix toute la haine qu'elle nourrissait pour ces gens-là. Comment auraient-ils pu en être autrement ? Elle ne comprenait ceux qui faisaient des exceptions, qui trouvaient des failles dans ces cœurs sombres. Ils prenaient la vie, et il aurait fallu épargner la leur. La pitié et la compassion avaient été profondément enterrées en elle, tout spécialement quand il s'agissait de ces individus-là. « Et alors ? Aura-t-il à le regretter ? » Si elle comprenait bien, elle était redevable d'un Mangemort. Super. La situation avait l'air vraiment captivante. En d'autres termes, elle pouvait très bien être un danger pour toutes les personnes alentour. Il ne s'agissait que de parier sur la loyauté d'une adolescente troublée, détruite, qui peinait précisément en ce moment à saisir le sens de ce qu'elle faisait, et rechignait à faire la bonne chose à faire. « Je dirais, comme ça, que je peux les retenir un petit instant pendant que tu vas prévenir le reste du camp, par exemple, histoire qu'il sache à quoi s'attendre. Tu auras le nombre, ils seront au courant de la menace, et même si je tombe rapidement, ce qui est fort probable, tu auras peut-être sauvé des dizaines de vie, en les préparant à l'attaque. Mais rentre. C'est pour ça que je me déplace jusqu'ici, parce que ça ne sert à rien. Si cette tâche est indigne de toi, puisque tu penses visiblement avoir mieux à faire que de protéger ceux qui t'ont protégé, et puisque même ma présence ne suffit pas à te distraire, fais-moi envoyer quelqu'un d'autre. » C'était plus fort qu'elle. Elle aurait voulu se montrer plus douce, mais malgré elle, Tracey la blessait, ne serait-ce que parce qu'elle cherchait à la fuir.

Il est vrai que j'aurais pu faire preuve de bonne volonté. Pourtant, l'irritation montait crescendo et Cali en faisait les frais. Bon, d'accord, le fait qu'elle cherchait la petite bête depuis tout à l'heure y était pour beaucoup, je n'aimais pas beaucoup l'impression d'être observée sous toutes les coutures. Elle essayait de comprendre quelque chose, mais quoi ? L'énigme que je pouvais représenter ? Force était de constater qu'elle était bien loin de réussir à me décrypter totalement. Je maintenais malgré tout mes remparts et je les défendais presque avec acharnement. Je lui disais à demi-mot ce que je voulais bien lui dévoiler – c'est à dire pas grand-chose. « Un Mangemort, donc. » Qu'elle comprenne ce qu'elle voulait, ce n'était pas mon problème. Elle devra se contenter de mon explication. Des profs, à Poudlard, il y en avait des bons, il y en avait des mauvais, ils n'étaient pas tous à mettre dans le même panier non plus, seulement, la majorité d'entre eux s'était tournée vers les forces du mal – c'était presque logique lorsqu'on y repensait, vu les temps qui courent. « Et alors ? Aura-t-il à le regretter ? » Je me mordillai la lèvre inférieure. Bien sûr que l'information n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde. « J'en sais rien. » grognai-je en guise de réponse, le regard sombre. « Tout ce que je veux, c'est de ne plus jamais avoir affaire à lui. » Je ne voulais pas avoir à honorer ma promesse, d'une quelconque façon. Car oui, je lui avais promis certes implicitement et sous la contrainte de ne jamais m'engager dans cette guerre, et encore moins aux côtés de ses ennemis, mais le simple fait d'être en ce moment en train de faire le guet avec Cali prouvait que j'avais d'ores et déjà bafoué cette promesse. Je n'éprouvais pas le moindre remords, car après tout, je n'étais loyale qu'envers ceux de mon propre camp. « […] Si cette tâche est indigne de toi, puisque tu penses visiblement avoir mieux à faire que de protéger ceux qui t'ont protégé, et puisque même ma présence ne suffit pas à te distraire, fais-moi envoyer quelqu'un d'autre. » Imperceptiblement, mes poings s'étaient resserrés, je pouvais sentir mes ongles mordre légèrement la chair de mes paumes. Non, je n'avais rien de mieux à faire, mais j'étais inexpérimentée, novice en la matière, je ne pouvais pas être une sentinelle efficace, mais c'est en forgeant qu'on devient forgeron n'est-ce pas ? « Non. » Je n'avais toujours pas levé le regard vers elle, il restait obstinément fixé sur un point lointain, devant moi. « Si on m'a assignée ici, c'est pour une bonne raison même si j'ignore laquelle. » Mon sens du devoir était en train de prendre le pas sur toute ma rancoeur. C'était peut-être bon signe. « J'ai accepté cette mission. Certes, ce n'est pas avec gaieté de cœur, mais ça me suffit pour savoir que je la mènerait jusqu'au bout. » Je n'avais pas l'intention d'abandonner, pas maintenant. « Je n'ai qu'une parole. » ajoutai-je enfin, à mi-voix. Et cette parole, je l'avais donnée aux personnes qui m'ont confiée cette mission. Cela ne voulait pas dire pour autant que je n'avais pas le droit de me plaindre, loin s'en faut.