Les heures avaient défilé tellement rapidement que la jeune femme pensait qu'il était encore une heure de l'après-midi. Non, le soleil avait presque disparu derrière les bâtiments londoniens. Jasmine observa la montre à gousset qui ne la quittait jamais. Oh, presque six heures ! La sorcière se demanda si elle avait encore le temps de faire un tour sur le Chemin de Traverse. On l'arrêta dans sa réflexion, une bande de jeunes moldus la bouscula alors qu'elle venait de sortir un morceau de parchemin, sa "liste de courses". Heureusement elle eut le temps de rattraper du bout des doigts le papier qui s'était échappé. Elle poussa un juron qui fit se retourner une dame âgée qui passait par là. La sorcière arqua un sourcil, étonnée par l'expression de stupéfaction qui ornait le visage affreusement ridé de la vieille femme. N'avait-elle jamais entendu de juron de sa vie ? En y repensant bien, "bande de Botruc dégénérés" n'était peut-être pas l'expression la plus adéquate pour désigner ce genre de personnages. Jasmine ne s'attarda pas et quitta la rue remplie de moldus pour s'engouffrer dans une allée sombre et déserte, parfait pour transplaner discrètement.

L'ambiance au Chemin de Traverse n'était pas plus gaie que dans les rues londoniennes. La sorcière remonta la capuche de sa cape pour cacher son visage, elle sortit de la ruelle pour se rendre chez l'apothicaire. Elle n'eut même pas le temps d'ouvrir la porte car un rafleur l'attrapa par le bras et un autre la héla de sa voix rauque. Ça y est, elle était fichue. Jasmine déglutit péniblement, son rythme cardiaque s'accéléra, elle sentit le sang quitter son visage et sa main serra un peu plus la poignée de la porte, tout comme l'emprise du rafleur sur son bras se faisait plus insistante. La sorcière resta immobile, s'attendant à ce qu'on lui jette un sort, qu'on la stupéfix ou pire. Une voix s'éleva dans l'air lourd de l'allée, une voix qui ne lui était pas inconnue. Le rafleur ne la lâcha pas immédiatement. Le sorcier qui avait parlé s'était approché d'eux et se trouvait à quelques pas de Jasmine. Elle le fixa sans rien dire. Severus Rogue. Cet affreux goujat, cette espèce de Veracrasse baveux, monomaniaque et tyrannique, était-il vraiment en train de lui sauver la mise ? Jasmine cligna des yeux d'un air hébété. « Vous l'avez entendu ? Lâchez-moi » Lança-t-elle aux deux rafleurs qui n'avaient pas bougé. La main qui ne tenait pas la poignée de la porte était posée discrètement sur sa baguette magique. Elle ne faisait pas plus confiance au professeur qui avait pourri ses années à Poudlard qu'à ces horribles personnages qui servaient un être abjecte.

Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine maigrelette, à un tel point qu'une douleur commençait à se faire sentir. Malgré la fermeté de son regard mélangée à un soupçon d'arrogance, la jeune femme sentait la peur qui la prenait à la gorge. C'était affreux comme sensation. Heureusement qu'elle n'avait pas à s'exprimer, on aurait sûrement noté un bégaiement. C'était la première fois qu'un rafleur, enfin plus précisément un groupe de rafleurs, l'avait accosté; il faut dire qu'habituellement, la sorcière avait plus de chance quand elle se promenait au Chemin de Traverse. Elle ne détourna pas son regard de la silhouette sombre qui rôdait autour d'elle. Quand le mangemort retira son masque, c'est avec une certaine stupéfaction qu'elle découvrit un visage aux traits tirés, un teint plus cireux que dans ses souvenirs. Le retour de son maître ne lui avait décidément pas réussi. La jeune femme avait l'impression de voir un autre homme, enfin presque. Pourtant ce faciès inexpressif n'avait pas changé, ni cette espèce de froideur morbide dans son regard. Jasmine ne put décrire la nature du regard qu'ils échangèrent car celui de son interlocuteur se détourna assez rapidement. Une phrase, courte, prononcée sèchement sur un ton glacial. Elle sentit la prise du rafleur se desserrer progressivement pour finalement la lâcher. La scène était trop étrange à son goût. La jeune femme tenta de déceler la moindre parcelle d'information qui pourrait l'éclairer sur les intentions du professeur. Rien. Cette stoïcité à toute épreuve restait sa marque de fabrique. Les rafleurs prirent leur temps avant de les laisser, comme s’ils s’attendaient à ce que la sorcière ne lance un sortilège destructeur ou qu’elle transforme leur acolyte mangemort en un Strangulot. Ce qui serait d’ailleurs assez tentant.

Aucun des deux ne prit la parole. Quelques sorciers défilaient dans la rue presque déserte. La plupart d'entre eux étaient accostés par les rafleurs avides de nés-moldus. Pourtant ce qui intriguait Jasmine n'était pas ses semblables, mais c'était cet étrange personnage qui venait de lui éviter de nombreux ennuis. Un air presque idiot s'était glissé sur son visage. Sa bouche était à demie-ouverte, comme si elle s'apprêtait à dire quelque chose et que les mots ne lui venaient pas, comme s'ils étaient coincés au fond de sa gorge. Après un long silence, Jasmine réussit enfin à exprimer sa gratitude envers l'homme qui lui faisait face. « Merci » C'était court, concis, rapide. De la méfiance se lisait toujours dans son regard. Elle ne savait pas à quoi s'attendre face à cet homme qui avait tué le sorcier qui était, à ses yeux, le plus puissant de tous les temps. Jasmine avait lâché la poignée de porte mais les doigts de son autre main frôlaient toujours sa baguette magique, prête à dégainer en cas d'attaque. Devait-elle prendre le risque de se dévoiler en éliminant cet homme ? Non. Elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait pas le faire, elle préférait soigner les gens que de les tuer. Était-ce de la lâcheté ou une forme de sagesse que de laisser la vie à cet homme ? Ce n'était pas à elle de le juger, selon Jasmine.