La joue droite collée contre le carrelage glacé, le petit Camille observait la masse sombre tapit sous le lit. « Je crois qu'il ne sortira pas d'ici » commenta-t-il à l'intention de son frère. Ce dernier soupira. Pourquoi est-ce que son petit frère faisait tout n'importe comment ? Pourquoi faisait-il toujours des trucs bizarres ? Comment avait-il pu envoyer le chat sous le lit, comme ça, rien qu'en le regardant ? C'était impossible. Tout était étrange et mystérieux avec lui. « Ne dis rien à papa et maman, s'il te plaît, Nate » quémanda Camille, tel un chiot. Ne rien dire, ne rien dire... Il y avait déjà beaucoup trop non-dits dans cette famille au goût de l'adolescent qu'était Nate. « Je te préviens ; c'est la dernière fois. J'en ai ras le bol de tes trucs bizarres » répondit-il en sortant de la chambre de son frère. Il prit bien soin de claquer la porte bruyamment histoire de montrer qu'il était en rogne puis s'éloigna dans le couloir.

Camille resta un moment sans rien dire, se contentant de fixer d'un air vide la porte qui venait de se refermer sur son frère aîné. C'était à chaque fois la même chose; dès que Nate acceptait de passer un peu de temps avec lui, il se passait une chose étrange. Cette fois-ci, Camille avait regardé le chat quelques secondes, puis celui-ci avait "glissé" sous le canapé, avec violence. Comme si une main invisible l'avait tiré en dessous. S'en était suivit une petite dispute durant laquelle Nate avait demandé des explications, comme d'habitude. Et Camille n'avait pas su quoi répondre, parce que lui non plus n'y comprenait rien. Comment aurait-il pu ? Il avait toujours été le garçon bizarre. Depuis tout petit, des phénomènes inexpliqués se passaient dès qu'il était là. Il n'y pouvait rien. Était-il le seul à pouvoir faire ça ? Nate lui avait une fois dit ne pas en être capable.
Le petit garçon reposa sa joue contre le carrelage, grimaçant tant il était froid. Il tendit sa main vers le chat, qui se contenta de reculer encore plus vers le mur. « Nuts, ne soit pas idiot, viens... » bougonna-t-il. Voilà que maintenant, il avait réussi à traumatiser le chat, qui était, dans cette famille, son seul ami. Génial.

C'était sans espoir. Camille se redressa et appuya son dos endolori sur le lit, sous lequel se cachait Nuts. Instinctivement, comme à chaque fois qu'il se sentait mal, il replia ses genoux sur sa poitrine et enfouit sa tête dans ses bras. Il respira profondément, puis se mit à pleurer à chaudes larmes. Il fit néanmoins attention à ne pas faire trop de bruit, pour ne pas alerter les parents. Ils n'étaient pas au courant que Camille était bizarre, et il ne voulait pas les décevoir. Camille était le petit préféré des parents, les Ainsworth l'aimait tellement... Et pour cause. Nate était l'enfant terrible, le petit insolent qui passait sa vie à être puni et qui ne cessait de faire des bêtises. Il était effronté. Tandis que le petit Camille était plus sensible, plus calme. Discret aussi, plus ou moins studieux. Différent de Nate, quoi. Le petit garçon savait bien que son frère était jaloux de lui, car tout le monde le préférait. Mais l'adolescent, en dépit de toute la jalousie qu'il pouvait éprouver pour son frère et tous les autres trucs, s'était toujours montré loyal envers Camille, et c'est pour ça qu'il l'aimait. Parce qu'il n'avait jamais dit à personne qu'il était fou, bizarre.

Au bout d'une trentaine de minutes, le chagrin de Camille s'apaisa. Fatigué, il s'allongea sur le sol, se moquant bien de l'allure qu'il avait.
Il fut réveillé quelques heures plus tard par Nuts qui, ayant décidé de sortir de sa cachette, lui léchait affectueusement le nez.

« Tu es sûr que tout va bien se passer, mon chéri ? » Le front posé sur la vitre du train, Camille n'arrêtait pas de retourner les dernières paroles de sa mère dans son esprit. Il lui avait juste répondu « Oui ». Puis Nate avait rajouté « Vu comme il est maigrichon, il résistera pas longtemps si on le tabasse » avant que Mr Ainsworth lui donne une tape dans la nuque. C'est vrai que Camille était un peu maigre, mais de toute manière, le commentaire de Nate importait très peu au jeune garçon. Il avait l'habitude que son frère ait des réflexions méchantes. Qui s'avéraient souvent totalement fausses. Camille s'y était habitué avec le temps. Il avait compris que c'était de jalousie, juste de la jalousie. Pourquoi était-il jaloux de son frère cadet, ça, c'est une autre histoire. Peut-être parce que celui qu'il traitait de "fou", de "bizarre" était en réalité un sorcier. Qui pourrait, dans l'avenir, le tuer avec un simple bout de bois. Camille sourit en se remémorant le jour où les Ainsworth s'étaient rendus la première fois au Chemin de Travers. Ils avaient au préalable reçu la visite d'un membre du Ministère -il avait d'ailleurs débarqué par la cheminée, et Mrs Ainsworth avait failli s'évanouir.

Ce fut sûrement le plus beau jour de la vie de Camille. Ses parents, qui avaient un peu de mal avec l'argent des sorciers, lui avaient achetés une belle baguette, un magnifique hibou grand-duc répondant au nom de Toasty, des manuels, un chaudron, et d'autres ustensiles qui lui paraissaient.... euh, étranges. Pendant ce temps-là, Nate restait dans son coin, à envier son petit frère, parce que les parents lui achetaient tout ce qu'il désirait. Lui, lors des rentrées scolaires, devait reprendre son vieux sac, ses vieux cahiers et ses vieux stylos. On ne lui achetait pas de baguette ou de hiboux ! Même si Camile savait que les parents n'étaient pas très justes, il adorait voir son frère comme ça. Pour toutes les fois où il l'avait traité ou été méchant... Il méritait bien ce qui lui arrivait.

Cela faisait déjà une ou deux heures qu'il avait enfilé son uniforme de sorcier, et il trouvait ça encore très bizarre. C'était une tenue pour le moins excentrique ! Il se voyait mal porter ça dans les rues de Wolverhampton, sa ville natale. Même à Londres, il n'avait vu personne accoutré de la sorte. Les sorciers avaient vraiment des coutumes pour le moins... originales. Le jeune garçon espérait qu'il pourrait quand même mettre des habits "normaux" les week-end. Il appréhendait beaucoup. Seul dans son compartiment, il espérait que les gens seraient accueillants car il avait du mal à se faire des amis. Il n'avait pas encore totalement compris ce système saugrenu de maisons, et puis les cours étaient farfelus. Métamorphose, histoire de la magie, potions ! Et qu'en faisait-on des mathématiques, de l'anglais, des sciences ? Il avait du mal à comprendre.

Bientôt, le train arriva en garde de Pré-au-Lard. Il n'eut pas vraiment le temps de réfléchir; Camille fut pris dans une foule de premières années. On les emmena au bord d'un lac et on les mit dans un radeau qui paraissait en piteuse état. Ils étaient environ six par embarcations, et Camille avait l'honneur de tenir la lanterne. Les eaux, noires, semblaient profondes, et le jeune garçon frissonnait à l'idée de ce que pouvaient receler ces eaux troubles. Ils arrivèrent rapidement devant l'enceinte du château. Il fut impressionné par la taille de celui-ci; il allait forcément se perdre un millier de fois là-dedans ! On les conduisit à l'intérieur; ils traversèrent un hall, montèrent des escaliers. Arrivés devant de grandes portes en chêne sombre, on les arrêta. Une vieille femme portant un hideux chapeau leur expliqua qu'ils s'apprêtaient à entrer dans la Grande Salle, qu'on allait les répartir dans les différentes maisons, blablabla. Camille n'écouta pas vraiment. Ils entrèrent, et on les plaça devant une estrade sur laquelle mangeait les professeurs, qui étaient tous étonnement vieux. La femme à chapeau monta sur l'estrade et déroula une liste extrêmement longue.

Elle appela une fille, qui grimpa sur l'estrade et s'assit sur un tabouret. La femme lui plaça un chapeau beaucoup trop grand sur la tête. Le plus étrange dans cette affaire, c'est que le vieux chapeau rapiécié (qui, d'après les bavardages qu'entendaient Camille, s'appelait "le Choixpeau") se redressa sur lui-même et se mit à marmonner dans sa barbe -pour peu qu'il en ait une. Puis, d'un seul coup, il hurla : « POUFSOUFFLE ! ». Il y eut des acclamations à l'une des tables, que la fillette s'empressa de rejoindre. À peine la nouvelle Poufsouffle assise parmi les siens, la vieille femme chapeautée avait repris sa liste. « Ainsworth, Camille » appela-t-elle. Tandis que le jeune garçon grimpai sur l'estrade et posai ses fesses sur le tabouret, il entendit les rires moqueurs des autres enfants. Sûrement à cause de son nom; ils s'imaginaient sans aucun doute qu'il s'agissait d'une fille. Il entendit également le terme "sang-de-bourbe" mais il ignorait la signification de ce terme. La femme posa le Choixpeau sur la tête de Camille. Il remua un peu, marmonna aussi, puis se redressa et hurla : « GRYFFONDOR ! »

Hurlements de joie. Camille alla s'asseoir à ladite table. Peu de temps après, la vieille femme rappela un élève tandis que le jeune garçon s'emparait d'une cuisse de poulet. « Austin, Sebastian » Un garçon, plutôt grand pour son âge, blond, posa avec assurance son fessier sur le tabouret. Le Choixpeau ne mit pas longtemps à se décider; « GRYFFONDOR ! » Nouveau hurlements de joie. Sebastian vint s'asseoir à côté de Camille, qui n'osa pas lui adresser la parole. Le garçon blond se servit un peu de pommes de terre, et se tourna vers le petit garçon. « Tu t'appelles Camille, c'est ça ? Drôle de prénom » lui dit-il en guise de salutation. « Oui, je sais » lui répondit le dénommé Camille, intimidé. « Moi, c'est Sebastian » se présenta-t-il en lui tendant une main, que le petit Ainsworth s'empressa d'empoigner. Il se demandait comment aller se passer ces 7 années à Poudlard, chez les Gryffondors, avec Sebastian...

Camille posa ses lèvres sur celles de Sebastian; ensemble, ils échangèrent un long et doux baiser. Ils rigolèrent un peu, se ré-embrassèrent encore puis Camille retomba de l'autre côté, sur le lit. « Tu crois qu'on devrait faire plus attention ? » demanda-t-il tandis que Sebastian allumait une cigarette. Celui-ci tira sur cette dernière puis le regarda d'un drôle d'air. « Je ne savais pas que je te faisais honte à ce point » répondit le jeune blond en ricanant. « C'est pas ce que je voulais dire » se rattrapa Camille. Il s'empara de la cigarette de son ami et tira plusieurs fois dessus. « On est des nés moldus. Tu sais ce que ça veut dire ? Ça va pas aller en s'arrangeant. Pas par les temps qui courent. Et puis, on est... gays. » « Il n'y a pas de mal à ça » Le jeune homme rigola un peu. Sebastian ne savait jamais être sérieux, toujours à plaisanter et dire n'importe quoi. C'était pour ça que Camille l'aimait; le seul problème, c'est que discuter de choses sérieuses avec lui était pratiquement mission impossible.

« Je le sais bien. Sebastian, essaie de comprendre ; Il est de retour. Voldemort. » Pour une fois, le blond porta son attention sur son petit-ami et non plus sur sa cigarette qui au fond, n'était pas plus intéressante que ça. « J'ai entendu les rumeurs aussi. Tu y crois ? C'est juste ce que ce gamin dit. » « Je ne crois pas que Potter soit un simple gamin. Tu te rappelles de lui, il y a quatre ans ? C'était la bête de foire. Il n'est pas aussi bête qu'il en à l'air. Je crois qu'il dit vrai » Sebastian gloussa. « Voldemort ne peut pas être de retour. Il est mort, tout le monde le sait. C'est pas un hasard si personne ne le croit » « Ça t'étonnerait beaucoup qu'il soit de retour ? La magie noire, c'est plus compliqué que ça n'y paraît. Un peu comme un grand labyrinthe » « Et t'es bien placé pour le savoir » précisa Sebastian en écrasant son mégot.

Camille lui jeta un regard noir. Oui, il était bien placé pour le savoir, mais non, il n'avait pas besoin qu'on le lui rappelle. Il y a quelques années, alors qu'il était encore élève à Poudlard, il avait eu affaire avec des élèves de Serpentard s'intéressant de très près à la magie noire. Le jeune Ainsworth avait vécu d'horribles expériences. Qu'il n'avait pas envie de recommencer. Et il avait tellement envie d'y croire, que le Lord était de retour... Ça ne l'aurait pas étonné. Il avait pu voir à quel point la magie noire était une magie puissante. Ressusciter quelqu'un, ça ne doit pas être bien difficile. Harry et lui ne s'était côtoyé qu'une année, et encore. Mais il savait qu'il avait fait gagné la Coupe cette année-là, et il n'avait pas l'air d'un mauvais garçon. Sebastian refusait d'y croire parce qu'il refusait d'y penser. Camille le connaissait trop bien. Les gens pensaient qu'il était juste "nonchalant" et qu'il se fichait de tout. Mais en réalité, ça lui faisait peur. Alors il faisait comme si ça ne le touchait pas.

« Sebastian. Je n'ai juste pas envie qu'il nous arrive quelque chose. Si il est de retour, on ferait des proies idéales. Voldemort aime pas les nés modus » « Et des gays sang-de-bourbe, on cumule ! » Les deux rigolèrent. Bah, Camille n'obtiendrait jamais rien de Sebastian, mais au moins, il l'avait prévenu. « T'es vraiment trop con, tu rigoleras moins quand tu te ferais tuer » commenta-t-il en souriant avant de déposer un baiser sur ses lèvres.

Le froid mordait les joues de Camille. Le jeune homme avait remarqué que depuis quelques temps, tout paraissait plus froid et sombre à Londres. Le temps, l'ambiance. Tout semblait lourd. Menaçant. Comme le ciel gris avant la tempête. Camille se demandait si il était le seul à l'avoir remarqué. Le danger était là, il planait. Ça ne lui faisait pas peur, il s'en fichait. Mais cette sensation de danger imminent était assez désagréable. Comme une piqure de moustique ; c'est petit, presque invisible, on le sent et ça fait "mal". Portant sa cigarette à sa bouche, il fixa un point sur le sol.

C'était juste une route, normale. Une route devant l'appartement de Camille. Juste une surface plane recouverte de goudron, de bitume, de crasse, bref, une route. Sur laquelle passait chaque jour des voitures, des amoureux, des mafieux, des tas de gens. Pour Camille, c'était plus que ça. Il revoyait encore la mare de sang, à cet endroit précis. Il courait alors jusqu'à lui, dévalant les escaliers à toute vitesse. Il y trouvait le corps lacéré de coups de Sebastian. Il voyait au loin des silhouettes s'éloigner. Il entendait les derniers mots de celui qui était son petit-ami ; « Tu m'avais prévenu ». Oui, il lui avait dit énormément de fois qu'il fallait être prudent. Ne pas faire les imbéciles. Mais le jeune blondinet était bien trop vaniteux pour l'écouter, il n'en faisait toujours qu'à sa tête. Camille sourit en repensant à lui. Un vrai imbécile, celui-là. Toujours à faire ce qui lui chantait. Camille écrasa son mégot et entendit des hommes arrivés.

Immédiatement, par réflexe, il se cacha dans l'embrasure de la porte. Des gens se promenant dans les rues à quatre heures du matin, ce n'était pas normal. Et par les temps qui couraient, Camille aurait pu parier sur leurs identités. Les silhouettes de trois hommes encapuchonnés se dessinèrent dans la nuit. Des Mangemorts, c'était prévisible. La nuit, ils se réunissaient parfois ici. Au bout de quelques minutes, heureusement, ils repartirent. Camille remonta à son appartement et se glissa dans son lit.

Il y a trois ans, il pouvait encore l'étreindre dans ses bras. Merveilleux, doux souvenir.