Blodwyn, qu’est-ce que -. Sans souffler mot, les doigts fébriles de son amie saisirent l’un de ses bras. Et ce fut tout. Un tourbillon, bien reconnaissable, les captura en son sein. Les paysages dansaient autour d’elles, d’une manière telle que l’estomac d’Alice se tordit. Elle connaissait cette étrange sensation de nausée, cette violente impression de tournis. Même après de longues années acharnées de pratique, elle ne s’y était jamais réellement habituée. Ses pieds retrouvèrent toutefois rapidement un soutien réconfortant. Ses jambes vacillèrent et ses genoux heurtèrent brutalement le sol en un léger bruit mat. Battant frénétiquement des cils, la jeune femme voulut s’accorder quelques secondes de réflexion avant de se relever. Si elle s’était attendue à transplaner aussi brusquement, peut-être n’aurait-elle pas été aussi désorientée à l’arrivée. Sa figure, dont l’expression mortifiée mettait en relief sa panique silencieuse, était dissimulée derrière ses longues mèches brunes. Au premier abord, elle ne se rendit pas compte que ses paumes appréciaient la texture de la terre, et non pas celle d’une surface carrelée ou correctement balayée. Ses sourcils se froncèrent alors qu’elle enfonçait consciemment ses doigts dans la poussière, de sorte à se rendre compte par elle-même de la réalité dans laquelle Blodwyn l’avait introduite. Brièvement ébahie par l’image de ses phalanges maculées de boue, Alice se redressa et, après quelques tentatives infructueuses, parvint finalement à se relever.
Lèvres pincées et front plissé, la libraire remonta le col de son manteau afin de se protéger de la morsure du vent glacé. Son regard bleuté scrutait les environs ; sans surprise, il rencontra la verdure relative aux forêts. Blodwyn broyait du noir depuis des semaines, confinée dans une maison abandonnée et accablée par un chagrin encore vivace. Alice n’allait pas la blâmer pour l’avoir menée dans un tel endroit, bien qu’il lui fût encore inconnu, car sa présence d’esprit l’intimait à comprendre les moindres faits et gestes de sa vis-à-vis. Elle tenait à Blodwyn, elle l’aimait comme une sœur et ce, même lorsque les raisons de ses étranges agissements lui échappaient. Depuis ce soir où elle avait fait irruption dans la librairie, le visage tuméfié et le corps secoué de soubresauts, Alice avait senti son propre cœur se fissurer. Blodwyn n’avait pas eu besoin de s’expliquer ; l’absence d’Eamonn à ses côtés était le témoignage le plus poignant de sa souffrance. Il était mort. Si Rose avait jugé utile de décrire sa propre sœur comme étant une lâche, ce que la principale intéressée ne cherchait pas à réfuter, Alice avait senti une poussée d’adrénaline parcourir ses veines en croisant le regard larmoyant de Blodwyn. Peut-être n’était-elle pas suffisamment courageuse pour porter secours à d’autres nés-moldus ou bien pour intégrer les rangs de l’Ordre, mais elle savait prendre soin des êtres qui lui étaient chers. Pour Blodwyn, pour Rose, pour Elwood, pour Tristan. Elle se savait prête à tout ; alors que l’impulsivité était aux antipodes de son comportement habituel.
La situation s’était alors inversée. A l’époque de la mort de ses parents, Blodwyn avait su l’englober d’une délicieuse sphère protectrice. Elle l’avait défendue, aidée, consolée. C’était au tour d’Alice de l’épauler, de limer les contours disgracieux de sa douleur lancinante. Evidemment, elle se savait incapable de panser la plaie béante qui malmenait son cœur. Le fantôme d’Eamonn couvrait encore la peau de Blodwyn de sa sombre nostalgie. Ils avaient partagé des choses dont Alice n’osait pas même imaginer l’ampleur ; depuis plusieurs mois, ils avaient combattu et vaincu l’adversité. Ensemble. En une fraction de seconde, Blodwyn avait vu son monde basculer et se flétrir. L’ancienne poufsouffle parvenait à comprendre cette puissante émotion qui jalonnait son esprit troublé et pour cause, elle arborait le même état d’esprit depuis la fuite de sa sœur. De plus, savoir que Tristan se frottait régulièrement aux mangemorts lui donnait également l’impression d’aimer un homme qui pouvait, à tout moment, rencontrer plus fort que lui et ne jamais plus lui revenir. S’arcboutant face à la fraîcheur des courants d’air, les sourcils d’Alice se froncèrent alors qu’elle cherchait distraitement la chevelure flamboyante de son amie dans ce paysage verdoyant. Il ne lui fallut pas plus de cinq secondes pour la repérer ; immédiatement une phrase lui vint en tête alors que la fraîcheur hivernale caressait, presque tendrement, les longues mèches rousses de Blodwyn. Kissed by fire. Captivée par cette vision angélique, un fin sourire étira ses lèvres rosées ; sourire qu’elle s’efforça de réprimer.
En présence de Blodwyn, bon nombre de souvenirs – agréables pour la plupart – remontaient à la surface. Alice avait souffert de son absence même si elle savait que la fuite était plus que nécessaire. Malgré tout, elle s’était sentie démunie face au manque que sa cavale engendrait ; elle ne reçut aucun courrier, aucun mot rassurant. Il lui fallut plusieurs semaines avant de se rendre compte que c’était un mal pour un bien ; aucune nouvelle, bonne nouvelle. Jamais un tel dicton ne parut aussi vrai à ses yeux. Alice était néanmoins face à une énième disparition qui, contrairement à celle de Rose, avait toujours paru incontournable depuis l’avènement de Voldemort. Si Clive s’était acharné à lui assurer que sa sœur cadette était saine et sauve, car elle était de sang-mêlé, rien ne pouvait assurer l’entière sécurité de Blodwyn, hormis la présence rassurante d’Eamonn à ses côtés. Alice pouvait aisément comprendre la perdition de sa vis-à-vis et la profondeur abyssale de sa souffrance. Elle se sentait concernée par les maux que ressentait son amie et, malgré ses maladresses, elle tentait vainement d’apaiser ses tourments. Elle avait perdu un être qui était essentiel à sa vie et rien, pas même la bonne volonté d’Alice, ne pouvait changer cela.
Bras croisés sur sa poitrine, elle se posta derrière de sa compagne, légèrement en retrait. Elle désirait scruter ce que Blodwyn observait. En cet instant, quasiment solennel, Alice aurait voulu lui confier son espoir – sûrement vain – de voir Eamonn en vie. Elle, habituellement si défaitiste que c’en était devenu déprimant, s’accrochait désespérément à la vie. Ce n’était cependant pas à elle d’évoquer le doux prénom de son fiancé, consciente que cela raviverait sûrement la flamme dévastatrice qui rongeait lentement le bien-être de la née-moldue. « Blod, où est-ce qu’on est ? » Un murmure fugace. Une interrogation prudente qui brisa le silence. « Blodwyn ? » Insista timidement Alice en frôlant l’épaule de son interlocutrice sur laquelle elle posa une paume tremblante, violentée par le froid.
≡ amoureusement : mariée, techniquement, même si elle ne semble plus en porter le nom.
≡ son emploi : auparavant, elle travaillait à la ménagerie magique, désormais, elle est une fugitive.
≡ statut de sang : c'est une sorcière de sang-pur, d'ces sang-pur qu'on estime traitres pour ne pas se croire au-dessus des autres.
≡ sa maison : elle était chez les gryffondor; elle n'a pourtant jamais cru en son courage.
≡ sa baguette : baguette en bois de cyprès, avec une plume de phénix pour cœur, elle est spécialisée en métamorphose, et mesure approximativement vingt-sept centimètres.
≡ son patronus : il prenait la forme d'un geai, mais désormais elle ne peut plus en produire. rien d'autre qu'un vague amas argenté.
≡ son amortencia : la potion a toujours eu la senteur du grand air, un parfum d'ébène au creux de ses cheveux et du vieux bois.
Sujet: Re: she made me brave again. (blodwyn) Mar 12 Mar - 3:22
you could come and save me
blodwyn brownstein & alice hudson « sometimes when i close my eyes i pretend I'm alright but it's never enough. » ------------❖------------❖------------
Elles étaient noires, les abysses profondes du désespoir. Les azurs clairs de Blodwyn s’ouvraient sur un jour nouveau, encore un. Neigeux, nimbé de ce blanc maculé par l’intouché – à travers la fenêtre sans rideau, la sorcière pouvait voir, en un instant fugace, un flocon gracieux glisser devant ses yeux, avant de disparaître. Elle ne dormait pas dans le noir, elle n’en avait plus le courage depuis que ses rêves étaient devenus plus ténébreux encore que les recoins ignorés de l’Enfer. C’en était presque reposant ; l’image du dernier regard d’Eamonn, le son de sa voix vibrant à ses tympans avaient presque disparu, le temps faisant. Elle ne l’oubliait pas, tout comme elle ne parvenait guère à voir le temps éroder les rocailleux tréfonds de sa peine – l’eau coulait sous les ponts, lentement, patiemment, mais le temps n’effaçait rien. La nuit, autrefois empreinte de terreur, de soubresauts silencieux au milieu de la forêt secouée par des bruits étrangers, était à présent devenue le seul refuge pour Blodwyn, le seul instant fugace où son esprit cessait de tourner à toute vitesse, où ses remords ne la faisaient plus pourrir de l’intérieur. Mais les nuits étaient trop courtes, alors que l’aube pointait tout juste, qu’elle s’était couchée bien après les derniers rayons du jour sur l’horizon – le vague sentiment de n’être restée en retrait que trop longtemps, commençait de toute manière, déjà à lui tordre les entrailles. Le monde était en guerre et quelque part, les meurtriers d’Eamonn continuaient de sévir. De priver des fiancées de leur amour, de priver des enfants de leurs parents, pour quelque raison que ce soit. Et à chaque fois que le regard clair de la sorcière se perdait en ces songes, c’était une rage vivace qui bourdonnait à ses temps – le désir, disgracieux et aveuglant de vengeance, sanglante et téméraire. Si une quelconque destinée, un geste du ciel ou de l’Enfer avait décidé qu’elle survivrait, c’était sans doute dans un but bien précis, pour des desseins sur lesquels elle tentait de mettre le doigt depuis des jours déjà. L’année quatre-vingt-dix-huit avait pointé son nez, Elwood dans son sillage mais depuis ce jour, la sorcière aux cheveux flamboyants restée cloitrée seule dans son donjon de désespoir, à tourner en rond, à se morfondre et puis, peu à peu, à ignorer les larmes pour que son cerveau n’ait de cesse d’envisager chaque possibilité qui s’offrait au peu de vie qu’il lui restait. Il n’y avait qu’une seule chose pour laquelle elle pourrait mourir dignement – pas l’Ordre du Phénix, certainement pas Voldemort et ses mensonges, ni même le monde de la magie tout simplement. Elle n’en avait curieusement rien à faire d’autrui, comme si son monde s’était subitement limité à ceux qu’elle avait rencontrés une fois dans sa vie, ceux dont elle gardait les images très nettement au fond de ses yeux – Alice, Elwood, d’autres encore – chacun des Rafleurs qui avaient participé à l’assassinat de son fiancé. Patiemment, silencieusement, secrètement, elle avait reconstitué leurs visages des bribes de souvenirs qui n’avaient de cesse de la torturer ; ils avaient tous eu des regards de fous, des allures de meurtriers et s’il fallait s’approcher du démon qui habitait ces monstres-là pour les atteindre, qu’il en soit ainsi.
Elle traversa les rues de Pré-Au-Lard à toute allure, ne faisant guère attention au désert qu’étaient à présent les rues du petit village sorcier – sa destination, elle ne la connaissait que trop bien et ce, depuis l’instant où elle avait commencé à s’habiller, à soigneusement préparer chacun des habits qu’elle portait à présent sur le dos. Une épaisse veste de couleurs sobres, celle qu’elle avait eu l’habitude de porter pendant leur fuite au fond des forêts, qui la rendait presque invisible au milieu de l’environnement sauvage et hostile des plus froids endroits dénués de vie humaine, des bottes à même de résister aux neiges les plus froides, et même une épaisse capuche qui couvrait ses cheveux d’un roux flamboyant. Alice cependant, alors qu’elle franchissait à toute hâte la porte du Troisième Œil, la reconnut d’un regard – la naissance d’une question s’imprimant sur ses lèvres, Blodwyn ne lui laissa guère le temps pour les politesses ou la surprise, saisissant le bras de son amie pour l’entraîner en une fraction de seconde, à l’autre bout du pays. Une chance, il semblait qu’Alice était déjà sortie ce matin, elle était alors plutôt bien équipée pour le chaotique voyage qu’elles allaient faire – pour le retour dans le passé, que Blodwyn se sentait incapable d’accomplir seule. Peut-être n’était-ce pas la meilleure façon de le faire, ou peut-être la sorcière avait-elle pressenti, à l’instant même de prendre sa décision folle, que son amie tenterait de la dissuader si elle lui donnait la moindre occasion d’articuler quelques paroles. Elles atterrirent brusquement au milieu d’un froid mordant, Blodwyn resserrant par habitude le col de sa veste autour de son cou et de son manteau : les rues serrées de Pré-Au-Lard avaient pour qualité de préserver des vents froids d’Ecosse, mais ici, dans cette forêt désertée de constructions humaines, les seuls troncs des arbres ne suffisaient pas à couper les glaciales rafales qui ravageaient les paysages anglais, en temps hivernal. Alice, elle, ne semblait pas autant habituée que son amie au transplanage : dans les premières longues semaines de sa fuite, Blodwyn avait senti ces âpres nausées collées à son palais à chaque fois qu’ils usaient de cette magie. Heureusement, Alice n’aurait jamais à connaître de tels bouleversements. Pensive, Brownstein perdit son regard à la cime des arbres, aux traces au sol qui avaient été conservées par le gel : ici, le passage pour le moins récent d’un animal de la forêt, quel qu’il soit et puis des vieilles traces de brûlure sur les arbres – un souffle putréfié puant le cauchemar à plein nez résonnant avec hargne contre le bois des troncs. C’était ici. Ici comme dans ses souvenirs, ou presque – il lui avait fallu du temps pour reconstituer avec soin plus que les dernières secondes que sa mémoire daignait conserver – patiemment, elle avait balayé sa culpabilité tortionnaire, pour se concentrer sur les faits, ses souvenirs ardents, les dernières choses qu’elle avait regardé autour d’elle. Les paroles d’Eamonn lorsqu’ils avaient quitté leur refuge irlandais pour aller plus au sud. C’était ici, ici qu’ils avaient connu leur dernier havre de paix, et le cul-de-sac où ils s’étaient retrouvés pris au piège, séparés pour le restant des jours qui continuaient de défiler. Le froid mouilla de larmes salées les yeux de Blodwyn (ou peut-être était-ce ce vaste ressentiment de vide au fond d’elle-même), mais dos à quelques pas d’Alice, elle parvint à les masquer aussitôt qu’elle sentit la main emplie d’empathie de son amie se poser sur son épaule.
N’importe qui n’aurait sans doute pas compris, aurait exigé de la sorcière qu’elle retourne dans le confort chaud de la librairie à Pré-Au-Lard plutôt que de rester dans un tel environnement plus de quelques secondes. Cet endroit, comme tous ceux qui lui ressemblaient, avait été le paysage de fond de l’histoire d’Eamonn et Blodwyn : ses débuts, sa fin. Où étaient-elles ? Au milieu de nulle part il n’y avait pas de doute : les destinations où les deux fiancés plantaient leur tente n’avaient pas de nom, c’était le milieu d’une forêt, près d’un rocher de telle forme, d’un arbre avec une branche qui partait de telle manière, pas très loin d’une source d’eau ou d’un village – moldu, de préférence. « Deux jours avant, nous étions en Irlande. On ne savait pas où, dans une forêt, près d’un village où on a passé Noël sous le porche d’une maison dont on ne connaissait rien, ni les propriétaires, ni quoique ce soit d’autre. » C’avait été simple, pur, unique à ces instants désormais si lointains. Les mâchoires de Blodwyn se serrèrent nerveusement, dans un spasme qu’elle tenta de réprimer au creux de sa gorge. Son regard baissé, elle tenta de le porter à nouveau autour d’elles, n’importe où, mais certainement pas vers Alice. « Et puis, la neige a commencé à tomber. L’hiver arrive plus vite encore dans le Nord qu’en Angleterre. Alors nous avons transplané. » Elle s’arma enfin d’assez de courage pour se retourner, trouver le regard compatissant de son amie et, comme dans l’espoir de la voir effacer cet air désolé de son visage, la sorcière mima un léger sourire, doux, comme ceux qu’elles avaient toujours échangés, depuis aussi longtemps qu’elles se connaissaient. « Prends ta baguette. » Les Rafleurs leur étaient tombés dessus d’une manière on ne peut plus impromptue, mais mieux valait rester prudent. Dans un mouvement, elle s’empara de la sienne, comme pour inviter de plus belle sa compagne de voyage de faire de même. Puis, attrapant la main d’Alice, Blodwyn s’engagea entre les arbres qui se dressaient, droits et fiers devant elles. Quelques branches craquant sous leurs pas, elle sentit ses instincts sauvages revenir alimenter ses sens – son ouïe focalisée sur tous les sons de la forêt, ses yeux vaquant à droite, à gauche, au plus loin qu’ils pouvaient voir. Dans les minutes qu’elles passèrent à marcher, les signes de vie de la sorcière se limitaient à son souffle, silencieux, épais, pesant, prudent – ses errances dans la forêt, seule ainsi s’étaient toujours faites silencieusement, comme les bêtes qui hantaient ces lieux reculés. Elles finirent par entendre le bruissement de l’eau, au coin de leur champ de vision, Blodwyn suivit les petits éclats du ruisseau qui n’avait pas gelé. Elles remontèrent, remontèrent et s’arrêtèrent à peine le bruit devenu plus clair. Un peu plus loin, des arbres se détachait une clairière discrète et ignorée du reste du monde. La rousse se stoppa net, gorge serrée, cœur déchiré. « Je ne pouvais pas revenir seule. » Finit-elle par avouer, à mi-mots. Fuyant jusque-là, son regard trouva celui d’Alice, elle serra délicatement la main de son amie de toujours entre ses doigts, puis, d’un accord silencieux elles rejoignirent les premiers abords des lieux qui semblaient abandonnés. Si la lutte avait été violente et acharnée, la neige avait paisiblement tout recouvert, la nature avait repris ses droits. Un instant, même, Blodwyn crut qu’elle s’était trompée, jusqu’à ce qu’un tronc à moitié déformé par un reste de sortilège, la sève saignant à blanc ne confirme ses doutes silencieux. Ses doigts fins et clairs dessinant les meurtrissures du bois, elle souffla – au fond, peut-être qu’elle ne savait même pas ce qu’elle était venue chercher ici. Réponses ou vengeances, attendait-elle qu’Alice ne la mette sur la voie ?
Dernière édition par Blodwyn Brownstein le Lun 8 Avr - 23:45, édité 1 fois
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Sujet: Re: she made me brave again. (blodwyn) Mer 3 Avr - 1:13
you found me
« lost and insecure, you found me, you found me lying on the floor, surrounded, surrounded. »
Elle comprenait. Lorsqu’Alice laissait son regard clair s’attarder sur Blodwyn, tentant vainement de déchiffrer ses sombres pensées, les nombreuses remontrances de Rose lui revenaient en mémoire. Elle se souvenait de tout ce que sa cadette avait pu lui dire. Il y avait du bon en ce bas-monde et il fallait se relever, affronter les ténèbres pour ce qui était juste. Blodwyn représentait, aux yeux de la libraire, ce pour quoi elle désirait se battre. Son amie était droite, honnête, dotée d’une bonté rare et d’un altruisme véritablement désintéressé. Ce qui lui était arrivé était profondément injuste. Le malheur s’était abattu sur son existence et Alice n’était pas à même d’amoindrir le chagrin qui l’habitait. La disparition brutale d’Eamonn était encore trop récente pour être oubliée ; elle se complaisait encore certainement dans son souvenir vivace. Son amie ne l’en blâmait pas, elle qui se morfondait encore dans la douleur que provoquait l’absence de ses parents et celle de sa sœur qu’elle ne parvenait pas combler. L’impuissance d’Alice était visible, gênante, déplacée. Elle ne pouvait rien offrir à Blodwyn, hormis la douceur quasiment maternelle qui guidait parfois ses gestes. Sa peine s’atténuerait avec le temps. Toutefois, pour le moment, elle n’en avait visiblement cure. Elle souffrait et cette douleur, pour les yeux avisés d’Alice, semblait insoutenable. Le courage. C’était sûrement la caractéristique qui les différenciait désormais ; la bravoure de Blodwyn l’intimait à se lever chaque matin, à supporter les conditions précaires de la maison d’Elwood, à vivre avec la plaie béante qui barrait profondément son cœur. Jamais cette blessure ne s’en irait mais, les années faisant, la douleur serait remplacée par une peine lancinante, une nostalgie inébranlable. Alice en était intimement persuadée mais elle jugeait préférable de ne pas énoncer une seule de ses idées à haute voix. Malgré tout, Blodwyn était seule face au deuil et rien, pas même la bonne volonté d’Alice, ne pourrait changer cela. Une bourrasque de vent frais frappa son visage pâle et, au lieu d’esquisser un pas en arrière, elle se rapprocha de son amie, frôlant son bras du bout des doigts. Elle désirait pénétrer dans les abymes de son chagrin, limer les contours de sa peine. Elle espérait que sa seule présence parvenait à la rassurer mais il était de notoriété publique que la tristesse de Blodwyn resterait vivace jusqu’au moment où – où quoi ? La jeune femme n’était pas ce elles qui miroitaient inlassablement leur vengeance. De fait, il lui était impossible d’énoncer précisément les raisons pour lesquelles Blodwyn se levait chaque matin. Alice ne soupçonnait pas que le cœur de son amie pouvait être noirci par une telle rancœur, une haine farouche et indomptable. Si elle avait été à sa place, sûrement aurait-elle été rongée par les mêmes envies de meurtre. Si Tristan – déstabilisée, la jeune femme battit des cils, tentant désespérément de chasser les images morbides qui s’insinuaient lentement derrière ses paupières plissées. Sa relation avec l’écrivain n’était pas aussi poussée que l’était celle qui liait Blodwyn à Eamonn mais s’il lui arrivait malheur, elle ne s’en relèverait pas. Elle tenait à lui, à sa sœur, à Elwood et à Blodwyn comme à la prunelle de ses yeux ; ils étaient nécessaires au bon déroulement de son existence. Elle avait besoin d’eux, de leur présence, de leur voix. L’amour. C’était une forme d’émotion qu’elle n’avait jamais oublié tant il était resté profondément enfoui en elle. La flamme avait été ranimée, entretenue par le sentiment de se dresser enfin pour une juste cause.
Alice n’oubliait pas que, quelques minutes plus tôt, elle accueillait Blodwyn dans sa librairie. En croisant les prunelles si claires de sa compagne, la surprise avait épousé ses traits. Elle ne quittait que très rarement l’ancienne maison d’Elwood et ce, pour des raisons qui lui paraissaient plus qu’évidentes. Vitales. C’était bien le mot qui lui brûlait les lèvres, alors qu’elles se tenaient l’une près de l’autre, épousant rapidement du regard le lieu dans lequel Blodwyn avait vécu en compagnie de son défunt fiancé. Alice n’en avait pas conscience. Pour elle, l’étendue verdoyante qui s’étalait devant elle était une lubie qui avait traversé l’esprit de sa vis-à-vis. La voix douce de Blodwyn ne sembla pas briser le silence religieux qui régnait dans ces bois, comme si elle s’était naturellement mêlée à la fraîcheur du vent. Rapidement, les traits du visage d’Alice se froissèrent. Elle était désolée. Ses mâchoires se contractèrent sensiblement alors qu’elle peinait à adopter une attitude attentive, sans toutefois trop en faire. Cette situation, devenue limpide, la poussait dans ses derniers et ultimes retranchements. Elle se rendait compte qu’elle marchait dans les traces de ses amis. Blodwyn se tourna alors vers elle, ses lèvres étirées en un fin sourire. Suivant son propre conseil, elle saisit sa baguette ; Alice l’imita. Sans souffler mot. Leurs doigts s’entrelacèrent alors. La sorcière l’intimait silencieusement à la suivre à travers les bois. En entamant leur marche, cette randonnée improvisée, la libraire avait contracté ses phalanges autour de son arme, consciente que leur présence en ce lieu pouvait éventuellement les faire passer pour des fuyardes. Surtout si elles croisaient le chemin de rafleurs ou de mangemorts ; la présence de leurs baguettes, dégainées et prêtes à être utilisées, ne tromperait personne. Pas même le moins avisé des sbires de Voldemort. Alice se surprenait à contempler avec émerveillement la nature environnante. Par moment, elle s’interrogeait sur le lieu où Rose avait élu domicile ; était-ce une forêt comme celle-ci ? Rapidement, cette question s’estompa d’elle-même, se diluant dans les méandres de sa peine. Arrivées dans une clairière, Alice sut qu’elles avaient atteint la destination désirée. Les doigts fébriles de Blodwyn s’étaient resserrés autour des siens. Usant d’un minimum d’empathie, la jeune femme lui rendit son étreinte discrète. Une nouvelle fois, sa voix vint caresser ses tympans d’une manière telle qu’Alice entendit son propre cœur se fissurer. Leurs regards se croisèrent enfin. La libraire acquiesça, hochant simplement sa tête. Sans plus. Il n’y avait rien à dire, rien à faire. Elles rejoignirent les abords des lieux, jaugeant du regard tout ce que la neige n’avait pas recouvert. Il n’y avait aucun signe visible de lutte ; du moins, Alice n’en remarqua pas. Lorsqu’elle s’aperçut que Blodwyn s’était éloignée vers les restes d’un tronc, l’une de ses paumes effleurant les plaies qui recouvraient le bois, la jeune femme ne tarda pas à la rejoindre. La pointe de sa baguette était dirigée vers le sol. Une grave erreur que ses anciens professeurs n’auraient sûrement pas hésité à sanctionner par le passé. Un manque flagrant de vigilance auquel elle n’avait jamais accordé la moindre importance.
Doucement, elle posa sa main le bois, cherchant à en ressentir les moindres reliefs disgracieux. Il n’y a pas de corps. Cette idée était devenue obsessionnelle. Sûrement était-ce quelque peu cliché de supposer qu’un meurtre impliquait nécessairement la présence d’un cadavre sur les lieux du crime. Les rafleurs (ou leurs superviseurs) n’étaient pas hommes à accorder une grande importance à l’éthique ou aux conventions. Les sourcils froncés, la jeune femme recula d’un pas et fit volte-face, détaillant la moindre parcelle de terrain avec le plus grand soin. Cette nuit-là, elle n’avait pas été présente aux côtés de Blodwyn – de fait, elle ne pouvait se fier qu’à son jugement et à ses souvenirs. Pour quelles sombres raisons revenaient-elles ici ? Prise à la gorge par un problème qu’elle n’était pas en mesure de régler, Alice s’avança au centre de la clairière. Ses pieds crissaient bruyamment sur l’épais tapi blanc qui recouvrait le sol. Elle bravait les sentiers interdits, ceux dans lesquels Blodwyn et Eamonn s’étaient paisiblement endormis. Ceux dans lesquels ils avaient orchestré leur cavale. Ceux dans lesquels Eamonn s’était éteint. Son palpitant sembla se contracter à cette pensée, comme s’il refusait de croire à ce meurtre, à cette tragique disparition. « Pourquoi sommes-nous ici ? » Un léger souffle passa ses lèvres. La gorge serrée, Alice se retourna vers Blodwyn. A la voir là, recherchant désespérément un petit je-ne-sais-quoi, ses pommettes rosirent et sa lèvre inférieure frémit. Ses paupières inférieures soutenaient difficilement les larmes qui commençaient à brouiller sa vue. Elle avait toujours eu le plaisir d’imaginer qu’elle était suffisamment proche de Blodwyn pour être susceptible de ressentir les émotions qui l’enveloppaient ; à présent, elle comprenait ce que le mot amitié signifiait véritablement. « Qu’est-ce que tu cherches ? » Une supplication aux traits délicieusement interrogatifs. Elle restait à bonne distance de son amie, afin de ne pas la brusquer. Son regard se planta dans celui de sa compagne. Chacune de ses phrases avait l’aspect d’un chuchotement respectueux, d’un murmure encourageant. Pouvait-il sérieusement en être autrement dans cet univers ségrégationniste ? Alice oubliait qu’elle était en présence d’une née-moldue et qu’une telle attitude de sa part l’enverrait assurément à Azkaban. Elle s’en fichait. Blodwyn n’était pas une sang-de-bourbe, une immondice, un ennemi à abattre. Non, non, jamais. Blodwyn valait mille fois mieux que tous ces cons réunis. « Dis-le-moi. Je veux t’aider. » Vacillante, Alice tint bon et toisa sa vis-à-vis de son regard tendre. Compatissante, elle était prête à tout pour la satisfaire et à apaiser ses tourments.
≡ amoureusement : mariée, techniquement, même si elle ne semble plus en porter le nom.
≡ son emploi : auparavant, elle travaillait à la ménagerie magique, désormais, elle est une fugitive.
≡ statut de sang : c'est une sorcière de sang-pur, d'ces sang-pur qu'on estime traitres pour ne pas se croire au-dessus des autres.
≡ sa maison : elle était chez les gryffondor; elle n'a pourtant jamais cru en son courage.
≡ sa baguette : baguette en bois de cyprès, avec une plume de phénix pour cœur, elle est spécialisée en métamorphose, et mesure approximativement vingt-sept centimètres.
≡ son patronus : il prenait la forme d'un geai, mais désormais elle ne peut plus en produire. rien d'autre qu'un vague amas argenté.
≡ son amortencia : la potion a toujours eu la senteur du grand air, un parfum d'ébène au creux de ses cheveux et du vieux bois.
Sujet: Re: she made me brave again. (blodwyn) Mar 9 Avr - 1:23
you could come and save me
blodwyn brownstein & alice hudson « sometimes when i close my eyes i pretend I'm alright but it's never enough. » ------------❖------------❖------------
La vie avait déserté l’endroit. Quelque part, Blodwyn faisait écho à ce néant : tout ce qu’elle avait trouvé beau et sauvage en ce lieu semblait avoir disparu. Ici, plus rien n’avait l’allure d’un havre de paix où se retrouver avec Eamonn. C’était un Enfer, une zone dans le monde qui n’avait plus d’importance, une parcelle de vie asséchée par l’amertume. Tout n’était que cendre entre les lèvres de la sorcière : de l’air qu’elle respirait, aux boissons alcoolisées qu’elle avalait par trop grande quantité. A ses yeux, plus rien ne brillait, plus rien n’étincelait – la vie n’avait plus l’allure d’un miracle, c’était juste le chemin qui menait à la mort, l’irrémédiable fin de tout qui rendait toute lutte vaine. Lutter pour survivre n’avait aucun sens à son esprit à présent : ce n’était que courir plus vite, plus loin ; s’épuiser pour rien. L’issue de la vie était la même pour tous, pour les plus puissants comme pour les plus faibles. Pour ceux qui avaient encore la prétention erronée d’être de sang-pur ; et pour les gens comme elle. Ses ongles s’accrochèrent à la chair ensanglantée du bois, Blodwyn avait perdu son regard sur les écorchures profondes du tronc. Ici, partout, la nature avait repris ses droits : le soleil s’était levé à l’est pour de nombreux jours après, et s’était couché à l’ouest, comme toujours. Il avait plu, il avait neigé – parfois, le soleil avait percé de rayons faiblards l’épaisseur des nuages voilant le ciel. La vie avait continué. La terre tournait encore. Les étoiles continuaient de briller. Tout n’était que blafard, dénué de sens et d’intérêt aux yeux de la sorcière – mais la nature, elle, lui balançait en pleine gueule qu’elle n’en avait que faire. Qu’elle n’en avait cure des morts des uns et des autres, des conflits qui déchiraient les hommes : l’univers restait en parfait équilibre, les planètes tournant autour de cet astre brûlant, cette boule rouge à des millions de kilomètres – et même si Eamonn était mort, même si l’horizon pour elle était flou, indéfini, inutile, les choses restaient les mêmes. Elle, elle respirait le même air que celui que son fiancé avait respiré, elle partageait les mêmes préoccupations primaires et inutiles à la fois, elle détestait les mêmes choses. Mais elle ne voulait pas accepter ces états de faits, continuer d’avancer – même si c’était vers la mort. Inlassablement, elle ressassait ; prunelles accrochées aux dernières traces de brûlure de la funeste nuit qui avait brisé sa vie en plein envol. Il n’y avait plus rien ici, pas une quelconque trace qui lui permettrait de remonter jusqu’aux assassins de son fiancé, ni même le corps d’Eamonn, vision douloureuse et meurtrière qui, pourtant, lui permettrait de voir, de faire ces stupides démarches protocolaires pour l’enterrer ; lui offrir, au moins, ce qu’il méritait comme lieu de repos éternel. Même ça, elle n’y avait pas droit – c’était légitime, sans doute, elle avait fui, elle l’avait abandonné au triste sort que lui promettaient les rafleurs, fiancée indigne. Pleurer ne servait à rien, larmoyer sur un arbre mort le même soir que son fiancé tait inutile également, mais il s’avérait qu’elle était plus vide encore que ce qu’elle croyait. Ici, elle ne savait pas quoi faire : voilà qu’elle avait trouvé les limites de sa volonté farouche, celle-là même qui l’avait faite se lever, plier ses affaires et venir chercher Alice dans sa librairie, transplanant sans un mot jusqu’ici. Et après ? Refaire ce pèlerinage ne lui ramènerait pas Eamonn : elle était incapable de remonter dans le temps et elle était incapable de clamer quelque justice que ce soit.
Était-ce un automatisme malsain et grivois qui l’avait faite se lever ? Sa volonté n’avait été qu’une illusion, qui s’était envolée au gré du vent hivernal qui avait fouetté son visage. Et déjà, son calme de porcelaine se fracturait en mille morceaux sous le regard blanc et impérieux de mère nature. Pourquoi – elle n’entendit que vaguement résonner les mots de son amie à ses oreilles, happée par ses souvenirs, Blodwyn en avait presque oublié sa présence – au combien celle-ci s’avérait indispensable à la faire tenir debout. Pour Alice, pour se donner bonne figure lors des visites impromptues d’Elwood. Pourquoi : lascif, lancinant et fascinant, ce mot se présentant devant les portes de son esprit remettait tout en question. Pourquoi se levait-elle ? Pourquoi regardait-elle fièrement droit devant elle ? Pourquoi tenait-elle encore sur ses jambes, alors que, imperceptiblement à des yeux étrangers, elle les sentait trembler sous le poids de ses afflictions ? Pourquoi le monde continuait de tourner ? Pourquoi tout n’était qu’injustice amère coincée dans sa gorge ? Elle n’avait aucune de ces réponses – elle ne les aurait jamais, et se savait déjà vouée à passer le restant de ses jours, sans savoir. Les vivrait-elle seulement ? Elle subsisterait, survivrait plus par réflexe que pour quoique ce soit d’autre ; elle ferait bonne figure, se tiendrait droite quand il le faudrait, serrerait les dents, fermerait les yeux : c’était tout ce qu’il y avait à faire. Tout ce qui semblait viable et acceptable à la fois. Parce qu’elle ne se sentait pas le courage de se laisser mourir – tôt ou tard, ces indélicats réflexes de survie reviendraient la rappeler à l’ordre. Elle se noyait, dans l’âpre silence qui rendait le vent si bruyant, ou peut-être était-ce un bourdonnement sourd, d’un vide glacial résonnant à ses oreilles ? Respirer, marcher, regarder autour s’avéraient être des instincts gravés dans son corps, alors que son esprit n’émettait que des plaintes de malheur. Être semblait suspendu à ça, aux changements indomptables de toutes les fondations de son essence. Il pleuvait, et l’océan se faisait rageur contre les criques rocailleuses du bout du monde ; et dans cet autre monde, ce flottement indécis, c’est à la voix d’Alice que les oreilles de Blodwyn se raccrochèrent. Si faible, si hésitante. D’un clignement d’yeux, elle sentit le sillon humide d’une larme solitaire lui esquinter la joue. Tout était douloureux, si lourd et si douloureux. L’air au fond de ses poumons lui semblait lui-même fait de centaines de poignards, s’immisçant dans sa poitrine, coulant dans ses veines à la même allure que le sang : voilà ce que c’était, vivre à présent – un poison alimentant chaque parcelle de son corps à chaque seconde qui s’écoulait. C’était une torture et c’était éternel. Éternel pour elle en tout cas – puisque, finalement, l’éternel dont elle avait conscience s’éteindrait avec elle, tôt ou tard. Elle pouvait le dire, elle pouvait le clamer au ciel en maudissant tous les dieux qui l’avaient destituée de ses pauvres possessions : sa peine serait éternelle. Sa peine ne s’arrêterait jamais, qu’elle vive un jour, ou des siècles encore. « S’il te plait, arrête de parler. » Jamais. Elle aurait voulu lancer cet amer venin à l’adresse de son amie, dans une supplication masquée en attaque, mais jamais elle n’accepterait de se montrer aussi vive et impitoyable à l’adresse d'Alice. Alice l'indispensable, Alice celle qui faisait partie des fondations même de son existence. Dents crispées à l’en faire mal, son poing serré tant que ses ongles s’étaient enfoncés dans la chair de sa paume, Blodwyn s’escrimait au silence. Il n’y avait rien à dire. Rien à répondre. Rien à vouloir. Rien qu’elles ne puissent faire, l’une comme l’autre. Blodwyn aurait cependant bien demandé de l’aide à son amie pour grimper là-haut, chez le Tout Puissant auquel ses grands-parents croyaient dur comme fer, pour lui botter le cul et lui demander des comptes sur tout ce qu’il lui infligeait.
Toutes les tempêtes qu’elle devait traverser. La perte de son travail, la perte de sa maison, la perte de ses amis – jusqu’au dernier. Ce qu’il lui restait, son cœur, on le lui avait arraché du fin fond de sa poitrine. Elle était en colère, elle détestait, elle était amère. Mais le pire restait l’amour. L’amour qu’elle ressentait était à présent baigné d’une rage sourde, de craintes silencieuses et de pleurs incessants. Aimer Eamonn avait été beau, exceptionnel – l’avoir aimé était à présent la pire torture qu’on lui imposait. Aimer Alice, ça aussi, s’avérait différent – c’était pourtant cet attachement, ce respect pour l’amie loyale qu’elle avait toujours été qui retenait Blodwyn de cracher une rage sans borne à l’adresse de celle-ci, pour de bien futiles détails, certes. « Je ne sais pas. » C’est la sentence qu’elle finit par admettre ; la prescience du monde, les dures lois de la gravité qui tombaient subitement sur ses épaules. Devant tant d’impuissance, elle aurait pu sentir en d’infinies secondes son cœur se briser au fond de sa poitrine, encore et encore tandis qu’elle se comprenait à présent vide de sens. Vide de tout. « J-j’ai pensé... » Vague tentative de fuir l’inévitable, la collision entre elle et le sol contre lequel elle s’écraserait, tôt ou tard. Avec Eamonn, elle avait tant brillé, elle était montée si haut que s’effondrer, revenait à ne plus jamais se relever. Mais déjà son souffle lui manquait, dans un hoquet précipité alors que la course de son cœur battait des records impitoyables de vitesse – pour ne pas perdre ses jambes, elle fit brusquement volte-face vers Alice, s’accrochant à elle. « Pourquoi on est là, dis-moi ?! » Il n’y avait rien à dire, rien à faire contre tout ça. Contre la mort d’Eamonn, contre le temps qui filait – rien ne le ramènerait. Rien ne les ramènerait, eux, paisiblement l’un contre l’autre au milieu de cette clairière : plus jamais elle ne pourrait sentir son odeur, autrement que dans ses rêve les plus douloureux. Plus jamais elle ne pourrait l’avoir contre elle, plus jamais elle ne pourrait se bercer de l’illusion qu’il y avait un bout au tunnel sombre qu’était devenue son existence. Jamais elle ne lui dirait au combien elle l’aimait, au combien elle l’avait aimé dès le premier regard ou à quel point son cœur avait bondi dans sa poitrine lorsqu’il lui avait demandé de devenir sa femme ; lorsqu’elle avait su, elle avait compris qu’ils seraient liés pour leur éternité. Lui, il ne pourrait jamais plus boire trop, il ne pourrait plus vivre comme l’éternel gamin qu’il était – il ne pourrait jamais connaître comment étaient les anniversaires dans la famille Brownstein et il n’aurait plus aucune chance de rêver d’elle en train de lui botter les fesses s’il venait à l’oublier. Le vouloir mort plutôt que frappé par un sortilège d’oubliettes avait été égoïste, atrocement égoïste et ce n’était qu’aujourd’hui qu’elle s’en rendait compte. Aujourd’hui que le voile tombait, que son monde s’effondrait. Eamonn vivant, elle aurait donné sa vie, tout ce qu’elle chérissait le plus pour que ce soit possible, pour qu’on lui donne un sortilège capable de tromper la mort. Elle aurait donné ses souvenirs de lui, rien que pour savoir qu'il était au moins vivant. Quelque part. Même avec une autre. N’importe quoi – rien qui n’existe. A genoux dans la neige, les lèvres tremblantes, elle vit ses larmes faire fondre la neige avant que ses yeux ne se voilent ; ses mains se refermant sur le néant. Ou peut-être était-ce une main, ou le bras, le tissu lourd de la veste d’Alice auquel elle se raccrochait en désespoir de cause. Elle était un cliché ambulant, ployant sous le poids de son malheur – elle n’en avait cure, c’était dur, si dur. Elle voulait que ça s’arrête, elle voulait que l’air lui soit respirable, le soleil aussi beau qu’avant, la neige, autre chose qu’un incessant souvenir des derniers jours qu’elle avait passés avec Eamonn. « Je veux qu’ils paient. Je veux qu’ils connaissent la même peine que moi, Alice. Et je veux tous les mettre à genoux ici pour qu’ils crèvent, seuls et ignorés du reste du monde. » Elle ne voulait pas ça. Et Blodwyn ne savait pas d’où venait cette rage qui lui faisait resserrer sa prise autour de ce que sa main avait accroché, captant l’attention de son amie comme jamais. Pourtant, à ces mots, elle ressentait une clairvoyance à nulle pareille la saisir : c’était l’assurance que, quelque part, sa rage, sa haine étaient des moteurs pour se lever le matin, pour affronter chaque nouvelle journée. Une raison d’avancer. Qui, elle le savait, la pourrirait de l’intérieur plus vite qu’un ver logé au fond d’une pomme tombée de l’arbre. Mais avait-ce une quelconque importance, à présent ?