01. Défiance
Caik, Ecosse, intrigue 2.2, mission pour l’Ordrex x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x

Le guet. C’était quelque chose qu’on se devait de faire, à tour de rôle, au camp, afin d’éviter les visites impromptues auxquelles les plus faibles ne seraient pas vraiment préparés. On pouvait vite se croire hors de danger, croire que tout allait bien, et tout à coup, la mort s’abattait sur vous, décimait les rangs, funeste, accablante. Cali l’avait appris à ses dépens. Elle ne baissait plus sa garde, et personne ne pourrait désormais parvenir à la persuader du contraire. De temps à autres, elle offrait donc ses services aux camps de réfugiés, afin que d’autres ne subissent pas les mêmes dommages qu’elle avait pu connaître. En tout cas, elle faisait de son mieux. Tracey, elle l’avait un peu prise sous son aile, elle avait cherché à l’aider, à la savoir en sécurité, mais il y avait cette rumeur sourde qui tonnait en elle, cette méfiance qu’elle ne pouvait empêcher de naître. Ce jour-là n’avait rien amélioré. On lui avait dévoilé quelques informations qui la confortaient dans son idée. Pour couronner le tout, Madame avait décidé de râler, sans s’arrêter, quelle plaie. A Poudlard, elles s’entendaient plutôt bien, mais Cali avait été obligée de grandir, brutalement, sans étapes, quand la Serpentard semblait encore coincée dans les méandres de l’adolescence. Elle soupira lorsque ses derniers mots tombèrent, déjà agacée, et son regard dur se planta dans les prunelles de la demoiselle. « On fait le guet. Pour assurer votre sécurité. Tu croyais quoi, que c’était un hôtel grand luxe ? Que tu ferais du jardinage dans une serre bien chaude ? Tiens, parlons-en d’hôtel, d’ailleurs. T’as foutu quoi ces derniers jours, on peut savoir ? Des gens comptent sur toi ici, en partant sans prévenir, tu les mets en danger. Et tu te mets en danger aussi par la même occasion. Alors, qu'est-ce que c'était, qui vaille tant de périls ? »

Cali ne s’attendait pas à ce que la piquante demoiselle se taise. Non, bien au contraire, peut-être avait-elle cherché l’affrontement, peut-être était-ce son dernier moyen de deviner, entre les lignes, entre les mots, entre les tons qu’on empruntait, les airs qu’on se donnait, les dessous de toutes ces histoires, de ces doutes qui grandissaient en elle, de son malaise croissant. Et déjà, Tracey commettait des erreurs, en voulant se défendre, en cumulant les prétextes, elle lui donnait les indices qu’elle voulait prendre, elle lui offrait des pistes. Tout d’abord, quand elle lui dit qu’elle avait été séquestrée, le cœur de Cali s’était porté vers elle, son sentimentalisme l’avait prise, elle avait bien failli la conquérir. Elle s’inquiétait, bien sûr, qu’elle s’inquiétait, peu importait ce qui se passait dans sa tête, elle n’avait encore aucune preuve, elle ne savait exactement de quoi il retournait. Comment condamner alors une adolescente en détresse ? « Tu t’es faite enlevée ? Par qui, et où ? A t’entendre on est venu t’arracher au camp. » Et là, pour le coup, ce serait vraiment inquiétant. « Ton… mec, hein ? Qu’est-ce qui t’empêchait de prévenir, Tracey ? C’est vrai, ce ne sont pas les conditions idéales, mais c’est temporaire, et il me semble que c’est toujours mieux que les deux autres solutions dont tu disposes : Azkaban, si l’on t’accepte là-bas, ou la Mort. N’est-ce pas pour fuir cela que tu t’es réfugiée ici ? Tu peux toujours voguer d’endroit en endroit comme avant, mais tu sais comme le sentiment de sécurité est moindre alors, et ce n’est pas qu’une question de sentiment. Si tu veux, on pourra voir ce qu’on peut faire pour améliorer un peu ton séjour, mais il y aura toujours des tâches, et le camp n’aura jamais le confort douillet d’une maison. » Elle s’était faite douce, même si l’alarme avait sonné. Elle ne l’avait pas relevée, elle sentait que ce n’était pas le moment, qu’elle n’était pas encore prête. Elle entassait ses questionnements, jusqu’à ce que la pile soit trop haute pour être contournée, et celui-là était de taille : pourquoi diable un Mangemort « fou furieux » aurait-il laissé Tracey Davis repartir tranquillement « dans un élan de bonté extrême » après l’avoir séquestrée ?

Tracey pensait sûrement l’avoir déjà bernée. Elle s’enfonçait plus avant dans ses explications, et Cali était là, à noter les détails qui ne coïncidaient pas. Au mauvais endroit au mauvais moment. Rares étaient les situations comme celles-là. Et il fallait même la faire passer pour une héroïne, puisqu’elle avait été muette comme une tombe, qu’elle n’avait rien balancé, qu’elle était si… loyale. Cali hocha la tête en signe d’approbation. La Serpentarde avait dû oublier quel était le métier de Cali. Elle avait beau ne pas être la plus avisée, la plus expérimentée, elle avait l’instinct, et il n’était pas bien difficile de relever tous ces petits détails, de les entasser les uns sur les autres en vrac, et de se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Tout comme elle avait appris à prétendre, prétendre être quelqu’un d’autre, prétendre penser à autre chose, tromper, piéger, pour le règne de la vérité, afin que justice soit rendue. C’était devenu sa raison d’être. Elle n’avait plus que ça auquel s’accrocher. Alors les bribes d’amitié qu’il y avait pu avoir entre elles, elles commençaient à se décoller, certaines étaient emportées par le vent. Le mensonge... Ça faisait tout flamber. « Alors pourquoi tu incrimines les gens du camp ou de l’Ordre de ne pas t’avoir sauvée ou… quelles que soient tes attentes à ce sujet. Tu n’es pas supposée sortir seule. Je comprends le besoin d’isolement, crois-moi. Mais ton histoire est inquiétante, même si tu fais comme si de rien n’était. C'était qui, alors ? » Oui, elle avait l’air d’avoir vachement été secouée, par ces tortures, le traumatisme sautait aux yeux… Sûrement pour cela qu’elle avait encore trouvé le temps de s’envoyer en l’air après ça. Son ironie, elle pouvait en user autant qu’elle voulait, il en fallait plus pour déstabiliser l’ancienne Serdaigle. Elle scrutait le paysage afin de s’assurer que leurs règlements de compte ne seraient pas l’excuse à d’autres pour leur passer sous le nez. Tracey pouvait très bien ne pas en voir l’utilité, mais plusieurs fois, dont une en particulier, Cali aurait aimé avoir cela : quelqu’un pour veiller sur elle, pour surveiller les alentours, pour la prévenir en cas d’intrusion sur son périmètre. Elle avait eu Fritz, en quelque sorte, mais il faisait le guet depuis son bar, et ça n’avait pas suffi. « Je ne te reproche pas tes jours de vacances je te reproche la manière dont tu les as pris… » marmonna Cali d’un ton distrait, avec l’impression de tourner en boucle, déjà. Le reste devait la captiver davantage. Elle se tourna vers la jeune fille, arqua un sourcil, réfléchit un instant à ce qu’elle devait répondre à cela. C’est vrai qu’elle aussi, elle avait perdu ses parents. Que pour elle aussi, la perte devait être si douloureuse que l’univers déjà sombre dans lequel on se trouvait s’obscurcissait plus encore. Alors d’accord, à ce moment-là, elle s’était retrouvée un peu attendrie. « … C’est vrai. Mais il ne tient qu’à nous d’y injecter un peu de bonheur, et si on ne peut pas le rendre paradisiaque, tenter au moins de le rendre meilleur. N’est-ce pas pour cela qu’on est là ? » Attendrie ou pas, elle n’allait pas perdre le Nord.

Une langue face à elle se déliait. A moitié. Tracey laissait enfin échapper quelques détails, suggérait ce qui avait pu arriver, et Cali tentait tant bien que mal de décrypter ses paroles, de saisir le sens de son histoire, comprendre ce qu'elle ne disait pas, tout en respectant les aveux faits. Mais était-ce réellement de la bonne volonté qu'elle affichait ici, étaient-ce réellement des confidences qu'elle lui apportait, ou n'était-ce n'en dire qu'assez pour l'apaiser, gaver sa curiosité assourdissante ? Elle n'aurait su le dire. Les sentiments prenaient leur part dans tout ça. Elle avait d'un côté cette affection pour Tracey, celle qui la rendait touchante à ses yeux, qui la plaçait telle une enfant qu'elle aurait souhaité protégé envers et contre tout, déjà blessée, similairement à elle, encore qu'elle n'avait pas vu s'effondrer les êtres chers sous ses yeux, qu'ils n'étaient pas tombés sous la baguette de son demi-frère, pour une histoire de fierté, de blason à redorer, il y avait quelque chose de fraternel, cette liaison complexe, qui accentuait sa dureté envers elle ; de l'autre, il y avait cette méfiance omniprésente, celle qui réglait sa vie comme le temps, l'argent, ou l'amour en règlent d'autres. « Un Mangemort, donc. » On ressentait dans sa voix toute la haine qu'elle nourrissait pour ces gens-là. Comment auraient-ils pu en être autrement ? Elle ne comprenait ceux qui faisaient des exceptions, qui trouvaient des failles dans ces cœurs sombres. Ils prenaient la vie, et il aurait fallu épargner la leur. La pitié et la compassion avaient été profondément enterrées en elle, tout spécialement quand il s'agissait de ces individus-là. « Et alors ? Aura-t-il à le regretter ? » Si elle comprenait bien, elle était redevable d'un Mangemort. Super. La situation avait l'air vraiment captivante. En d'autres termes, elle pouvait très bien être un danger pour toutes les personnes alentour. Il ne s'agissait que de parier sur la loyauté d'une adolescente troublée, détruite, qui peinait précisément en ce moment à saisir le sens de ce qu'elle faisait, et rechignait à faire la bonne chose à faire. « Je dirais, comme ça, que je peux les retenir un petit instant pendant que tu vas prévenir le reste du camp, par exemple, histoire qu'il sache à quoi s'attendre. Tu auras le nombre, ils seront au courant de la menace, et même si je tombe rapidement, ce qui est fort probable, tu auras peut-être sauvé des dizaines de vie, en les préparant à l'attaque. Mais rentre. C'est pour ça que je me déplace jusqu'ici, parce que ça ne sert à rien. Si cette tâche est indigne de toi, puisque tu penses visiblement avoir mieux à faire que de protéger ceux qui t'ont protégé, et puisque même ma présence ne suffit pas à te distraire, fais-moi envoyer quelqu'un d'autre. » C'était plus fort qu'elle. Elle aurait voulu se montrer plus douce, mais malgré elle, Tracey la blessait, ne serait-ce que parce qu'elle cherchait à la fuir.