(event, sage) rumor has it

Sous le soleil radieux qui faisait l’honneur de se montrer pour cet illustre mariage, Oberyn restait de glace. Du moins il essayait. Engoncé dans une robe de cérémonie austère qui lui avait été imposée par ses supérieurs, il tachait de promener son regard sur l’assemblée sans jamais s’arrêter, sans faiblir, sans réfléchir. Il était ici pour assurer la sécurité, comme bon nombre d’Exécuteurs à ses côtés. Il n’avait jamais demandé à venir ici, à être affecté à une mission aussi ingrate et ennuyeuse que la surveillance d’un mariage cossu, pourtant il avait été désigné, et comme toujours, il n’avait rien dit à l’encontre de sa hiérarchie pour exprimer son mécontentement, se contentant de suivre les ordres, à l’image d’un soldat bien obéissant. Il affichait une mine maussade qu’il n’avait pas quittée depuis des mois, mais il y avait pourtant un changement dans son humeur et son attitude. Il avait suivi le mouvement dès la fin de la guerre, courbant l’échine et se pliant au gouvernement et à ses lubies absurdes, sans jamais ressentir quoi que ce soit. Mais ça faisait trop longtemps. Depuis, il avait vu des choses qui avaient remué d’anciens souvenirs en lui, des sentiments qu’il avait cru éteints. Agir en pantin obéissant devenait plus difficile à mesure que les jours passaient et qu’il repensait à ce qu’il avait vu, entendu, compris. Pourtant il devait se taire, serrer les dents, il n’avait plus d’autre choix. Il devait obéir, toujours. Et il obéirait en surveillant ce mariage, alors qu’il ne connaissait ni les mariés, ni les familles de sang-pur qui les unissaient. Il méprisait ces gens mais devait les protéger … Il avait du mal à poser son regard sur eux, qui se pavanaient devant lui dans leurs habits somptueux, exhibant leurs richesses et leur victoire. Oberyn essayait de son mieux de ne pas se mêler à ceux qui étaient les plus visiblement maîtres des lieux, se frayant un passage au milieu de ceux qui avaient plutôt l’air d’être les invités. En toute logique, ceux-là étaient plus susceptibles de faire des coups d’éclat, et ils étaient moins insupportablement arrogants. Sauf quelques-uns … Comme cette demoiselle dont il croisa le regard, et qui n’avait visiblement pas perdu une seule once de sa superbe depuis la dernière fois qu’il l’avait vue. Mu par un instinct sorti de nulle part, Oberyn s’approcha d’elle. « Mademoiselle Blackheart, quelle surprise … Je ne t’aurais jamais cru capable de te faire inviter à la plus grande réception Mangemort depuis la fin de la guerre. » Fit-il à voix basse en s’inclinant légèrement devant Sage, imitant à la perfection les manières pompeuses des hôtes de ces lieux.

A un pas à peine du buffet, la brune s’offrit le luxe de soupirer avec désintérêt : elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait imaginé que ce mariage aurait été plus intéressant. Sur le carton d’invitation, la fête promettait de battre son plein autour de deux invités conquis, des véritables sangs-pur qui auraient tôt fait de ravir toutes les mirettes. Mais les minutes s’allongeaient, les mariés se faisaient bien discrets, et les invités tous plus prévisibles les uns que les autres : les sorciers de sang-pur avaient-ils conscience d’être des personnages tout simplement épuisants et prévisibilité ? Attrapant un petit-four sur l’un des plateaux disposés au banquet, Sage l’avala tout rond, tout en dévisageant de loin une chevelure rousse qui ne lui était guère inconnue. Si elle n’avait que rarement adressé la parole à la fiancée d’Eamonn - sa vraie fiancée - la jeune femme avait déjà retenu son visage, son nom, ainsi que les bases de sa relation avec Eamonn. Lui, elle le connaissait depuis leur tendre enfance, dans les couloirs de Poudlard, il avait vu les yeux du sorcier briller sur le sillage de Blodwyn Brownstein, la rousse discrète des Serdaigle. Qu’est-ce qu’elle faisait là, à faire le service comme une boniche ? Curieusement, les pensées de la brune ne cessaient de s’accrocher à ça, le désir ardent de connaître quelles lubies avaient pu finir par traverser l’esprit d’Eamonn pour que la jeune femme se retrouve dans une telle situation. Amère, lassée, elle roula des yeux, suivant d’une oeillade sombre, la silhouette bien large de la servante de la famille : Sage avait besoin de trouver Eamonn, lui parler ; même pour elle, c’était presque impossible d’accepter une telle situation. Faisant claquer sa langue contre son palais, Sage sonda longuement la foule, cherchant à saisir une opportunité pour se glisser dans le manoir, grimper les escaliers pour trouver son ancien ami. Pourtant, son regard s’accrocha au fond d’yeux familiers qui s’étaient attardé sur elle : un vague sourire frissonnant à la commissure de ses lèvres, Sage attrapa une coupe de champagne alors qu’Oberyn Lindberg arrivait dans sa direction. C’est dans un sourire poli qu’elle l’accueillit, mimant la courbette britannique de coutume. « Bien sûr que je suis invitée, j’ai un laisser-passer pour tout. » Elle soutint son regard, avant de reprendre un air sérieux, pinçant légèrement les lèvres. « J’avais une jolie robe à montrer en société. » Et, comme pour souligner l’évidence, elle esquissa un geste pour se désigner : la réalité était pourtant toute autre, les oreilles traînant partout, Sage savait qu’elle pourrait retrouver ici d’anciens amis, régler ses comptes avec ceux qui avaient mis fin à ses tranquilles vacances à l’autre bout du monde. « On dirait que t'es venu pour travailler toi, c'est bien dommage de ne pas pouvoir profiter de la fête. » Pinçant les lèvres, elle eut une moue faussement désolée, elle savait qu'il n'était pas venu à ses côtés pour le loisir de lui parler, leurs relations n'étaient pas forcément optimales.

Cela faisait bien des mois qu’Oberyn n’avait pas eu de nouvelles de Sage, mais ce n’était pas qu’il espérait en recevoir, en fait. Elle avait disparu de la circulation quand les choses s’étaient gâtées et elle avait sans doute fait en sorte d’échapper aux pires moments de l’Ordre – tout comme lui. Mais contrairement à lui, elle n’était pas là pour travailler ce soir, elle était donc invitée, ce qui était beaucoup plus surprenant de sa part. Visiblement, elle avait mis de côté sa petite vendetta personnelle, et il ne doutait pas un instant que si elle était là, au milieu de tous ces gros bonnets prétentieux et hautement racistes, c’était parce qu’elle avait un but bien précis … Et ce n’était sans doute pas uniquement pour sa robe. Par contre, il allait finir par croire qu’elle avait effectivement un laissez-passer pour tout ce qu’elle désirait, à force de la voir toujours réussir à entrer et à se sortir des pires situations. « Ca ne m’étonne pas vraiment. Ca aurait été dommage de ne pas faire profiter de cette robe au monde. » Lâcha-t-il avec un regard appréciateur pour les courbes joliment mises en valeur de la jeune femme. Il haussa un sourcil narquois quand elle remarqua qu’il ne pourrait pas participer à la fête, et jeta un regard éloquent autour de lui. « Quelle fête ? Au moins je n’ai pas besoin de faire semblant de m’amuser, je ne suis pas là pour ça. » On ne pouvait pas dire que l’ambiance était extraordinaire, mais peut-être était-ce ça, l’idée d’un mariage réussi pour des sang-purs, allez savoir. Dans tous les cas, Oberyn n’avait aucune envie de faire partie de la fête. Mais il aurait, tant qu’à faire, préféré ne pas être là du tout … « J’espère que tu n’es pas venue jouer les trouble-fête, je serais peiné de devoir t’expédier dehors après cette si belle collaboration qu’on a pu avoir ensemble. » On ne pouvait pas dire que belle était le mot juste pour décrire leur relation houleuse, mais ils avaient travaillé ensemble … Et mine de rien, Oberyn n’avait pas complètement détesté l’expérience. Sage faisait partie de ces rares personnes qu’il tenait dans son estime.

Une certaine politesse empressée avait toujours guidé les rencontres entre Sage et Oberyn Lindberg : l’homme était, après tout, tout aussi insaisissable qu’elle, il n’y avait qu’à voir le virage à 180 degrés qu’il avait commis lors de la fin de la guerre, pour conclure que le sorcier savait parfaitement bien retourner sa veste. De membre de l’Ordre du Phénix assassinant des Mangemorts par poignées, il était devenu un des super-flics du Ministère, chargé de faire la surveillance à un petit mariage. Est-ce qu’Oberyn se doutait un tant soit peu que les choses menaçaient de virer à la catastrophe d’une seconde à l’autre ? C’était, du moins, les informations qui avaient amené Sage jusqu’ici, les quelques murmures qui avaient filtré jusqu’à son oreille, et qu’elle gardait soigneusement pour elle : certes, mettre à mal les actions de la rébellion serait une chose qui lui procurerait mille plaisirs bien particuliers, mais son désir de détruire les Mangemorts - ou ce qu’il en restait - l’importait sur tout le reste. Pinçant les lèvres, la brune eut un sourire au regard appréciateur de Lindberg sur sa silhouette, ils s’étaient déjà si souvent observés, analysés en de longues oeillades, que plus rien ne semblait les déranger. Il ouvrit à nouveau la bouche, et elle haussa les épaules d’un air négligent, certes, elle n’était pas venue ici pour papoter avec ces imbéciles, ni même se montrer comme beaucoup d’autres, encore moins pour montrer son allégeance au sang-pur ou à Voldemort, grand vainqueur de cette guerre. « Les petits fours sont excellents. » Souligna-t-elle avant d’en avaler un ; c’était comme si c’était le seul point positif de cette journée pompeuse, et chiante à souhait - finalement, en débarquant ici, en mettant à nouveau les deux pieds dans le plat, elle avait découvert surtout à quel point la situation était désastreuse ici, en Angleterre. Même Oberyn avait choisi un tout autre terrain de chasse. « Je m’en voudrais de perturber une si belle cérémonie. Non, je suis une amie du marié, alors je ne peux pas manquer un tel événement. » Souligna-t-elle avec une ironie évidente ; non, ce n’était même pas pour Eamonn qu’elle s’était pointée jusqu’ici, d’ailleurs, il ne se montrait même pas, alors si tel avait été le cas, elle aurait été franchement déçue. Observant de la tête aux pieds son vis à vis, Sage arqua un sourcil. « Pourquoi ? Tu as des pulsions meurtrières à combler ? » Elle le défia du regard, certes, leur petit marché ne tenait plus aujourd’hui, mais en souvenir d’antan, Lindberg ne comptait quand même pas la prendre en chasse, n’est-ce pas ?

Dans cette enfilade de jours mornes et tous si semblables qui faisait la vie d’Oberyn depuis plusieurs mois maintenant, cette petite discussion avec Sage semblait être le seul point d’intérêt – et ils avaient pourtant à peine échangé quelques mots. Etait-ce le fait que cela lui rappelle une époque où sa vie avait plus de piquant, ou tout simplement parce que la jeune sorcière avait ce répondant mordant qu’il ne retrouvait chez aucun de ses collègues, mais Oberyn appréciait ce petit interlude. Il la regarda avaler un petit four, la rejoignant assez pour penser que les apéritifs étaient sans doute la seule chose d’intérêt dans ce mariage ennuyeux à mourir, mais il n’avait pas vraiment le droit d’y goûter, ce qui rendait les choses bien pires de son côté. Il sonda la foule quand elle évoqua le marié : il n’était même pas sûr de l’avoir vu. Il était censé pouvoir le reconnaître, afin d’assurer sa sécurité si le besoin s’en faisait sentir, mais honnêtement il se souciait comme d’une guigne de ce fils de bonne famille qui prenait femme aujourd’hui. Il n’était qu’à moitié surpris que Sage soit amie avec lui, mais dans sa bouche, ce mot pouvait signifier absolument tout et n’importe quoi. L’amitié semblait être une notion bien vague pour quelqu’un comme elle, d’après ce qu’il avait pu voir. « Bonne excuse. » Fit-il avec un léger sourire. Qu’elle ne lui fasse pas croire que toute l’amitié qu’elle pouvait avoir pour le fils Oswald-Appleby l’empêcherait de faire du grabuge si elle pouvait en retirer quoi que ce soit … « Moi ? Si peu. » Répondit-il finalement quand elle parla de ses pulsions meurtrières. « La paix se montre étonnamment ennuyeuse par rapport à la guerre, et ce n’est pas dans ce genre d’occasions mondaines que mes pulsions seront comblées. » Qu’elle ne dise pas le contraire, il était persuadé qu’elle aussi devait le penser, au moins de temps à autres. En gentille petite sorcière passée sous le radar du Ministère, elle était forcée de faire bonne figure, ou d’être plus discrète dans ses actions. Il espérait que ce soit seulement la deuxième option, une Sage trop sage serait atrocement ennuyeux. « J’espère que tu ne t’es pas trop calmée. Il se peut que … j’aie besoin de quelques informations, que tu pourrais m’aider à obtenir. » Lâcha-t-il finalement en la fixant du regard. Comme elle l’avait fait quand elle était venue chez lui la première fois, des mois plus tôt, il ne s’encombrerait pas de détours.