Un mariage. Un simple mot qui parvenait à faire tourner les têtes des romantiques, à faire grogner les plus maussades, à insuffler de l’espoir ou du désespoir, un simple mot pourtant si lourd, dégoulinant de souvenirs et de fantaisies, empestant l’anxiété et l’appréhension. Des heures, des jours, des semaines à se ronger les ongles jusqu’au sang, à se mordiller les lèvres jusqu’à les détruire complètement, une peur constante mélangée à des espoirs possibles, un esprit hanté par des questions infinies, par des inquiétudes incessantes, par des nuits sans sommeil et des jours ensommeillés. Voilà ce que Tessae gardait de la mémoire de ses propres noces, qui étaient si lointaines et pourtant si récentes. Elle était un enfant à l’époque, du moins il lui semblait. Ça avait été la fin du monde et le début de tout – la ligne d’arrivée de son enfance, le son du sifflet de sa vie d’adulte. Elle avait rencontré Rhaegar ce jour-là, pour la première fois avait-elle posé les yeux sur lui, et aujourd’hui elle se retrouvait là, mariée, meurtrie par la perte, rougie par la honte, en train d’enfiler sa plus jolie robe pour assister aux noces d’une autre. Une autre, qui, comme elle, se lançerait dans un mariage aveugle, qui, comme elle, débuterait une nouvelle vie. Si elle serait heureuse Tessae n’en savait rien, elle ne connaissait que très peu les fiancés. Des sang-pur, comme elle, comme Rhaegar. Ils s’y rendaient par respect, par honneur, par obligation, pour soutenir la cause de la pureté du sang et de sa présence essentielle éternelle. Un événement de grande pompe, où tous seraient présents. Elle y serait, bien évidemment, au bras de son mari. Rhaegar. La source de son bonheur, autant que de ses plus grands doutes. Il était tout près, assis sur le rebord de leur lit, en train d’enfiler ses chaussures cirées. Elle, était debout devant le long miroir, les doigts glissant dans sa crinière dorée pour les coiffer adéquatement. Ni un ni l’autre ne parlait. Un silence bien connu, un silence familier, qui ne lui faisait plus aucun effet. Rhaegar n’avait jamais été très loquace. Elle se souvenait d’un temps où son silence la rendait complètement folle, étant certaine qu’elle faisait quelque chose de mal, après tout, quelle autre explication ? Mais elle avait appris, au fil des années passé en compagnie de son mari, que c’était ce qu’il était, et elle avait appris à le comprendre, elle avait appris à le respecter, elle avait appris à l’aimer. Elle jeta un bref coup d’oeil à sa silhouette par le reflet. Il était concentré à lacer ses chaussures, le regard droit, le costume brossé, les cheveux un peu fous, comme ils l’étaient toujours. Tessae eut envie de sourire. Oui, elle avait appris à aimer Rhaegar, malgré tout. Elle posa une main légère sur son ventre. Malgré tout. Elle rabaissa la main, ne voulant pas accaparer son esprit par de mauvaises pensées. C'était tout ce qu'elle avait depuis un an - des remords, du désespoir, de la souffrance. Elle voulait un peu de paix, que ce soit que pour une seule journée.

Elle tressa quelques mèches de ses cheveux et s’assura d’avoir l’air acceptable, replaçant légèrement sa robe bleue pâle sur ses épaules, avant de détourner le regard de son reflet pour regarder son mari qui s’était levé. Il était beau, dans son costume, d’un bleu nuit presque noir, sa cravate jeté sur son épaule, attendant d’être serrée autour de son cou. Tessae s’approcha doucement, presque prudemment, et s’empara du bout de tissu. Elle leva les yeux vers Rhaegar, esquissant un petit sourire. “Tu me laisses faire ?” C’était une question, mais elle n’attendit pas la réponse. Doucement, presque tendrement, elle releva les ourlets de sa chemise, enroulant la cravate bleu pâle autour de son cou. Elle aimait être près de Rhaegar, de sentir sa présence, d’inhaler son parfum. Elle tenait tant à lui. Elle ignorait à quel point il tenait à elle, si c’était aussi fort, mais peu lui importait. En autant qu’il restait là, près, à porté de main, elle était heureuse, elle resterait heureuse. Jamais elle ne pourrait supporter de le décevoir. Jamais elle ne pourrait supporter le voir s’en aller – son pire cauchemar, voilà ce que c’était. Mais malgré ses rares sourires, malgré son visage de glace, Rhaegar restait, il était resté après l’incident, et ce devait être bon signe. Ce devait. Tessae s’affairait à nouer la cravate autour de son cou, et elle songeait que c’était bien étrange que de se rendre à un mariage qui était si semblable au leur. Rhaegar y songeait-il également ? Aucun moyen de le savoir, mais elle aimait bien penser que c’était le cas. Pensait-il à ce jour fatidique, lui aussi ? Elle termina de nouer la cravate silencieusement, puis laissa glisser ses doigts sur le satin. “Et voilà” dit-elle simplement, souriant doucement. Elle ne pouvait s'empêcher de songer aux fiancés qui allaient s'unir quelques heures plus tard. Elle ignorait presque tout d'eux, elle ne savait que leur nom, quelques informations de base, rien de plus. Ariane, c'était elle, tremblotait-elle de nervosité ? Ou était-elle confiante, indifférente ? Tessae aurait voulu la serrer dans ses bras, lui dire que le bonheur était possible, elle l'avait eu après tout. Plongée dans ses pensées, Tessae se tourna vers la fenêtre. Quel drôle d'événement, un mariage. Comment c'était étrange, qu'il ait le pouvoir d'apporter autant de bonheur, ou autant de malheur. Quel pouvoir était-ce. Tessae soupira doucement, espérant que l'événement se déroulerait bien. Son coeur aurait de la difficulté à regarder une union difficile. Elle avait besoin d'un vent de fraîcheur, et quoi de mieux que de voir des fiancés heureux ! Ce serait si agréable. Mais elle ne le saurait pas avant que le mariage ait lieu, d'ici là, elle ne pouvait qu'y songer.