Mon corps se fige. Un enfant est décédé, tué sous les tortures des Mangemorts présents à Poudlard car il avait osé revenir malgré son statut de sang. Je commence gémir puis me mords la lèvre pour arrêter ce bruit complètement idiot. Ce n’est pas le moment de se montrer faible. Je secoue la tête, serrant ma baguette dans ma poche et quitte l’infirmerie où j’ai appris la nouvelle. Je n’étais pas là mais je n’arrête pas de me répéter que j’aurai du être là, présente, le soutenir, me battre pour le soigner, le guérir. J’aurai pu montrer que malgré mon sang, je suis efficace et que les nés-moldus ne sont pas faibles, qu’on est capable de se battre, de se protéger. Mais j’étais occupée avec d’autres élèves à soigner. Il y en a tant, de tous les statuts, de toutes les maisons. A croire que les Mangemorts ne font plus la différence et attaquent le premier élève qu’ils trouvent. Je ne serais pas étonnée d’apprendre que ça arrive. Je croise quelques élèves qui parlent discrètement, se précipitant vers leurs amis ou leur salle commune afin d’échapper à une éventuelle nouvelle attaque. Les regards se posent sur moi, les murmures s’intensifient. J’ai l’impression d’avoir un panneau « née-molue » au dessus de la tête. Les battements de mon cœur s’intensifient. Je m’arrête, dans un couloir, tremblante. Que va-t-il se passer quand ils sauront pour moi ? Ma respiration s’accélère mais je me relève. Ce n’est pas le moment de paniquer. Il faut juste réfléchir et prendre une décision rapidement. Je fais quelques pas avant d’apercevoir Cinaed au bout du couloir. Sa présence me rassure un instant. J’arrive à sourire et me précipite pour le retrouver. « Tu as entendu toute l’histoire ? »

Malgré la présence de Cinaed, je perds bien vite mon sourire quand je réalise enfin quelque chose. C’est la fin pour moi. Il n’est plus question de faire profil bas et de compter sur Cinaed, de jouer au chat et à la souris avec les mangemorts. S’ils se sont attaqués à un pauvre élève, s’ils ont osé le tuer parce qu’il voulait juste rester à Poudlard, ils n’hésiteront pas à s’attaquer à nous, à tuer ceux qui se mettront en travers de leur chemin. Combien de familles ont été détruites jusqu’à maintenant ? Je n’ai pas envie d’être responsable d’un carnage pour ne pas changer de vie. Il faut savoir se sacrifier pour le bien des autres. J’ai déjà trop joué avec le feu et je ne donne pas cher de ma peau, ou celle de mes parents, quand ils se rendront compte de mon ascendance. Je me sens mieux en présence de Cinaed mais je ne peux pas m’enlever l’idée de la tête que je dois tout quitter pour ne pas nous mettre en danger. Je souris faiblement de nouveau. Je fronce les sourcils et me mords la lèvre en entendant le ton inquiet de Cinaed. « Ça va, je n’étais pas là quand ils l’ont amené. J’étais… occupée avec d’autres élèves. Mais je devais quitter l’infirmerie, je ne pouvais pas rester là-bas. » Je me sens tout à coup obligée de justifier mon départ, alors que je quitte rarement seule l’infirmerie. « Tu crois qu’on va me dénoncer ? » Je ne m’étais pas posée la question jusqu’à maintenant. Est-ce que les élèves auront le culot, l’audace de me dénoncer ? Un rire nerveux s'empare de moi. Quelle question ! Ils en seraient tout à fait capable.

Je sais que je peux compter sur lui, même après ce qu’il s’est passé la dernière fois. Il ne sait rien passé de grave mais ça a changé la donne, surtout quand je l’ai observé partir sans rien dire, surprise par cet évènement inattendu. Mais il sera toujours là pour me protéger alors que je ne lui ai rien demandé. Je ne lui ai jamais dit que j’avais besoin de lui, ni la première fois, ni les fois précédentes. C’est une sorte d’accord tacite, silencieux entre nous. A cet instant, je suis bien contente de l’avoir et de ne pas me retrouver toute seule dans cette situation. Qui sait ce qu’il me serait arrivé si j’avais dû être toute seule à Poudlard. Parfois, je me demande comment j’ai pu survivre dans cet endroit alors que chaque jour, des gens ont dû fuir, tout abandonner pour ne pas se faire torturer ou tuer. Maintenant, la question ne se pose plus. Il faut que je quitte Poudlard. Cinaed attrape ma main et me regarde droit dans les yeux. Il me réussit à calmer mon rire nerveux. Ce n’est pas le moment de rigoler. J’acquiesce silencieusement à sa promesse et tente de réfléchir un instant, légèrement déstabilisée par son regard bleu. « Que fait-on ? On ne peut pas quitter Poudlard juste comme ça, parce qu’on en a envie. » Tout à coup je me rends compte des mots de Cinaed. Si dans un premier temps, ils m’ont rassurée, je commence à mesurer l’ampleur de la situation et ce que ça veut dire. Je dois partir à cause de mon ascendance mais rien ne l’oblige à tout abandonner pour moi. Il va m’aider à sortir mais après ? Je ne veux pas l’obliger à se faire remarquer pour que je puisse me sauver. Je peux tenter de rejoindre Béatrice dans un camp mais je ne sais pas où elle est. Toute cette histoire va finir par avoir ma peau.

C’est difficile. Difficile de prendre une décision, la bonne décision maintenant. Il faut à la fois réfléchir et agir rapidement sinon il sera trop tard. Mais peut-on vraiment prendre la bonne décision dans la panique ? A cet instant, il y a plus d’enjeux que prévu dont nos deux vies. Il m’a protégée pendant longtemps et je sais qu’il serait capable de le faire, même si j’ai parfois du mal à comprendre pourquoi. Quoique le baiser de l’autre jour est peut-être la réponse. Enfin, elle l’était jusqu'à ce qu’il fuit. Je soupire et acquiesce en attendant sa réponse. Il réfléchit plus vite et mieux que moi dans ce genre de situation. Je n’ose pas imaginer le genre de renforts qui arriverait. Je n’ose pas imaginer non plus ce qui va arriver aux élèves. Plus de tortures, plus de blessés. Sûrement une nouvelle mort. Et je ne peux rien faire pour empêcher ça. Je ne peux plus les soigner car je dois fuir, comme une lâche. Je secoue la tête. Je ne peux pas, je ne dois pas m’apitoyer sur mon sort. Je suis plus chanceuse que beaucoup d’autres. C’est dans cette optique que je commence à réfléchir à une façon de sortir. Cinaed serre ma main et commence à m’entrainer dans les escaliers. Je n’ose pas me retourner. Il me rassure une nouvelle fois mais je sens qu’il est tendu. L’espace d’un instant, je pense à lui dire de rester ici, de me couvrir le temps que je parte. Puis il me pose une question essentielle pour notre évasion. Je n’aurai jamais pensé un jour utiliser ce mot pour parler de Poudlard. J’ai besoin de lui. J’acquiesce vivement. « Bien sur ! Mais on ne peut pas le faire dans l’enceinte de l’école. On doit sortir, rejoindre Pré-au-Lard. » De ma main libre, je croise les doigts pour qu’on ne rencontre personne. Moins de gens nous verront, plus on aura de chances de s’en sortir. « Mais on ira où ? »